C’était l’automne. Il faisait froid. Du moins, j’avais froid. Après 10 ans passés en Afrique, j’étais arrivée en France dans le courant de l’été. Du haut de mes 12 ans, je tentais de soutenir le regard moqueur de ma camarade de classe.
De toute manière, tu n’as aucune culture!
Non, je n’avais jamais vu le visage du Président Chirac et je ne savais même pas qui il était. Non, je n’arrivais pas à décoder ce graphique de prévisions météo et non, je ne savais pas ce qu’était de l’"aïoli". Un animal? Et puis, je me suis entendu dire: “Et toi, sais-tu qui est Khadafi? Sais-tu où se trouve le Tibesti? As-tu entendu parler du gombo?”
Silence.
Notre culture reflète notre lieu de vie; et toutes les deux, nous avions grandi dans des univers différents. De cette confrontation est née une longue amitié: mon amie m’a initiée à la gastronomie française et à ces longs débats politiques dont sont friands les Français. Au fil du temps, je suis devenue un peu plus française.
… ceux qui sont Africains par leurs connaissances, leur cœur ou leur voix1.
Je ne suis certainement pas africaine de par mes connaissances ni de par ma voix. Mais peut-être que les 10 ans passés en Afrique ont transformé quelques fibres de mon cœur pour me donner – non pas le droit – mais l’envie de vous parler de cette belle initiative.
C’est l’histoire de deux jeunes poissons qui nagent et croisent le chemin d’un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit: “Salut, les garçons. L’eau est bonne?” Les deux jeunes poissons nagent encore un moment, puis l’un regarde l’autre et fait, “Tu sais ce que c’est, toi, l’eau2?”
À bien des égards, nous les Français, nous sommes comme ces jeunes poissons. Nous n’avons pas vraiment conscience du monde qui nous entoure. Nous prenons machinalement notre Bible et nous lisons des histoires que nous connaissons bien, dans une langue que nous connaissons… depuis toujours parce que c’est notre langue maternelle. C’est l’eau qui nous entoure, c’est le quotidien, c’est normal.
Au vu de ces différences, il était donc temps que paraisse un ouvrage qui offre le texte biblique appliqué à une culture différente de la nôtre. D’ailleurs, Matthew Elliott, l’éditeur en chef du projet, observe:
Sur de nombreux sujets, les cultures africaines sont plus proches de la culture biblique que les cultures occidentales4
Remarquez qu’il ne parle pas de "culture", mais de "cultures". De la même manière, cette Bible s’intitule "perspectives africaines" avec des "s". Ce pluriel vient poser la question de l’unité de la culture africaine. Ce projet, qui vise à offrir aux francophones d’Afrique un ouvrage commun, fait-il vraiment sens, quand on connaît la richesse culturelle, linguistique et religieuse de l’Afrique? À cette question, l’éditeur répond:
Nous ne disons jamais "la culture africaine". Nous préférons dire "les cultures africaines". C’est très divers […], mais il existe un cœur culturel commun.
Dans la même lignée, certains se sont interrogés sur la pertinence d’une Bible en français5, alors que chacun sait qu’il vaut mieux lire la Parole de Dieu dans sa langue maternelle. Là aussi, l’éditeur évoque l’unité favorisée par l’utilisation d’une langue commune. Ce projet ne vient donc pas remplacer les efforts qui sont faits par ailleurs pour offrir à chaque communauté ethnique l’Évangile dans la langue de son cœur.
La manière dont ce projet a été pensé et a vu le jour illustre très bien ce point.
Ce proverbe, qu’on trouve chez les Léga de la République démocratique du Congo, pourrait s’appliquer à cette Bible. Plus de 350 théologiens, pasteurs ou dirigeants d’Églises, issus de plus de 50 pays différents, se sont joints au projet. Les commentaires ont été écrits en 4 langues. Le projet comptait: 194 rédacteurs issus de pays anglophones; 100 rédacteurs de pays francophones; 11 rédacteurs de pays lusophones et 11 rédacteurs de pays arabophones.
Les textes ont ensuite été traduits en anglais pour la version anglophone et en français pour la version francophone. L’éditeur résume ainsi l’état d’esprit du projet:
En fait, l’équipe de rédaction elle-même a été choisie avec soin de manière à refléter fidèlement la diversité de l’Église d’Afrique. De gros efforts ont été faits pour s’assurer que soient exprimées et encouragées des croyances chrétiennes justes et acceptées, tout en permettant des différences d’opinions sur des sujets non essentiels.
Par moment, cette recherche d’unité pourra laisser le lecteur sur sa faim. Les contributeurs sont en effet issus de divers mouvements chrétiens: les évangéliques (dans leur diversité), majoritairement représentés, ont écrit aux côtés d’anglicans, de protestants, de méthodistes, de Coptes orthodoxes. Ainsi, certains commentaires se contentent de dresser un état des lieux des pratiques ecclésiales, sans apporter d’éclairage exégétique. Ce sera l’occasion pour le lecteur de se tourner vers ses responsables d’Églises pour poursuivre sa réflexion.
Les mots sont comme des œufs, si on en lâche un, impossible de le récupérer.7
N’insulte pas ton village quand tu le quittes, car celui qui part revient toujours.8
L’ombre du zèbre n’a pas de rayure.9
Même le borgne pleure.10
Comme vous le voyez, cet ouvrage regorge de références culturelles africaines. Il en est tellement imprégné que le lecteur aura l’impression d’y être immergé: une expérience très riche! Ainsi près de 560 dictons et récits africains sont étudiés à la lumière du texte biblique.
L’esthétique de cet ouvrage rappelle aussi l’Afrique: les pictogrammes ont été réfléchis pour mettre en avant la diversité des ethnies et des peuples africains ayant participé au projet. Cet aspect en particulier vous permettra de faire de cette Bible un magnifique cadeau.
“L’Église est une”, c’est une affirmation que nous n’avons pas de mal à mettre en avant. Pourtant, nous vivons souvent comme si l’Église était constituée (presque) uniquement de ceux qui nous ressemblent. L’Église est une, mais cela ne l’empêche pas d’être très diverse sur le plan ethnique! Nos Églises locales occidentales comme africaines participent à la même réalité: l’Église universelle de Jésus-Christ.
Saviez-vous qu’Augustin était africain? Qu’Athanase était né en Égypte? Que Simon de Cyrène, celui qui a porté la croix de Jésus, était libyen? Bien souvent, nous, Occidentaux, pouvons faire preuve d’un certain snobisme culturel, comme mon amie. Faites une recherche sur Internet concernant les livres chrétiens pour enfants et vous serez étonné d’y voir apparaître encore assez fréquemment un Jésus aux traits occidentalisés. Lors de la conférence en mémoire de l’assassinat de Martin Luther King Jr, Russell Moore, directeur du projet Public theology du Christianity Today faisait remarquer:
Parfois, les gens disent: “Si seulement nous pouvions avoir des Églises multiethniques!” L’Église est multiethnique! L’Église est actuellement conduite par un homme sans domicile, un homme du Moyen-Orient [Jésus-Christ]11.
Cet ouvrage est rafraîchissant parce qu’il met en avant l’œuvre de Dieu au niveau mondial. Il démontre avec finesse la contribution importante des Africains à l’œuvre divine par le passé, mais aussi dans les temps présents. Il souligne “l’œuvre missionnaire inversée”: l’envoi de missionnaires par les Églises d’Afrique dans les pays occidentalisés et postchrétiens. Cette Bible sera aussi une ressource précieuse pour tous ceux qui s’investissent auprès d’Africains, que ce soit en Afrique ou sur le sol européen.
Ce projet titanesque présente de nombreuses qualités. L’ampleur du projet a peut-être contribué à certains écueils. Le plus notable me semble être celui-ci: les notes ou commentaires sont souvent assez descriptifs et n’orientent pas davantage le lecteur à Christ. Par moment, ces mêmes commentaires peuvent avoir un ton assez moralisateur. L’analyse sur le récit de David triomphant de Goliath est un exemple parlant:
Si l’on comparait un géant de près de trois mètres de haut, lourdement armé, et un tout jeune berger simplement muni d’une fronde, on pourrait en conclure que le géant sortirait forcément vainqueur d’un combat. Un proverbe malgache dit Ny adoty miady amambato, ce qui signifie: “L’œuf ne peut vaincre le rocher.” Le roi Saül et son armée devaient se sentir comme des œufs face à un rocher.
[…]
Un autre proverbe malgache dit Aza manoa kely mamindro, ce qui signifie: “Il ne faut jamais sous-estimer les petits.” Goliath et les frères de David eurent beau le mépriser à cause de son jeune âge et de sa taille, cela n’empêcha pas David de vaincre Goliath. […] Quel fut le secret de David? Envers et contre tout, il plaça sa confiance dans le Seigneur des armées et non en lui-même. Et Dieu lui vint en aide. Votre foi en Dieu est-elle si grande que vous êtes prêt à prendre ce que d’autres considèrent comme de vrais risques pour l’avancement de son royaume? Ou votre foi est-elle si petite que vous restez cloué sur place, tremblant de peur13?
webinaire
Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?
Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.
Orateurs
M. Giralt et R. Charrier