Paru en 2005, Le développement de l’Église, est l’un des ouvrages qui ont fait découvrir au grand public l’étude de la croissance de l’Église. Bien que vieilli, le livre est encore une ressource pour beaucoup d’Églises qui désirent vivre un renouveau.
Né en 1960, fils d’un pasteur luthérien allemand, Christian Andreas Schwarz étudie la théologie en Allemagne. En 1985, il réalise un voyage aux États-Unis, durant lequel il rencontre Donald A. McGavran, Peter Wagner et Win Arn. Ces derniers sont des missiologues qui ont impacté l’étude de la croissance de l’Église. En 1986, il étudie le mouvement pour la croissance de l’Église aux États-Unis d’Amérique au Fuller Theological Seminary.
En 1989, il fonde l’Institute for Natural Church Development (NCD). En 1994, sous sa supervision et avec l’aide de Christoph Schalk, psychosociologue, il établit un questionnaire auquel répondent 1000 Églises de 32 pays différents parmi les 5 continents afin d’apporter:
Une réponse scientifiquement vérifiable à la question: “Quels sont les principes de la croissance de l’Église qui sont valables quels que soient le contexte culturel et l’orientation théologique?” Nous nous sommes efforcés de répondre à la question: “Que doit faire chaque Église et chaque chrétien pour réaliser la mission que Jésus nous a confiée?”
Christian A. Schwarz, Le développement de l’Église, une approche originale et réaliste, Éditions Empreintes Temps Présent, 2005, p. 19
Les résultats de cette vaste enquête (4,2 millions de résultats) ont été étudiés selon une méthodologie sociologique, afin de dégager 8 critères de qualités dans lesquels les Églises qui connaissent une croissance numérique obtiennent de bons scores.
En 1996, Schwarz publie Le Développement de l’Église (Die Naturliche Gemeindeentwicklung, chez C&P Verlag), où il expose la thèse sur la croissance de l’Église. Le livre est traduit dans 40 langues, faisant de Schwarz l’auteur chrétien allemand le plus influent du 20ᵉ (selon NCD). Le ministère du NCD publiera tout un écosystème de ressources autour de cet ouvrage majeur.
Schwarz critique ceux qu’il appelle les "technocrates" et les "spiritualistes". Il reproche aux premiers de travailler dans l’Église afin de s’occuper de besoins institutionnels par leurs propres forces et sagesse. À dessein, Schwarz veut leur rappeler que l’Église ne doit pas chercher son confort et sa sécurité dans la structuration institutionnelle. Elle doit se confier à Jésus-Christ pour grandir. Il reproche aux seconds, les spiritualistes, leur approche trop dualiste, opposant l’œuvre de l’Esprit au rôle des institutions. La prière fervente pour la croissance de l’Église ne suffit pas à elle seule pour la faire grandir.
L’enquête de Schwarz démontre, chiffres à l’appui, que la croissance est multifactorielle et qu’elle dépend de la tension entre un pôle dynamique ou organique (cher aux spiritualistes) et un pôle statique (cher aux technocrates).
En outre, Schwarz critique les Églises qui veulent grandir en recopiant telle ou telle megachurch. Il préfère la recherche de principes qualitatifs auxquels obéissent des centaines d’Églises en croissance. Cette analyse phénoménologique apporte des arguments de poids pour l’étude de la croissance de l’Église, tout en évitant l’écueil d’un mimétisme simpliste et réducteur de l’imitation d’une Église érigée en modèle parfait. La preuve empirique sera donc l’un des arguments de poids de l’auteur pour définir les critères de qualité indispensables à la croissance.
Schwarz propose une nouvelle approche: la croissance naturelle, analogue à celle du monde vivant, selon le principe du "potentiel biotique". Schwarz le définit comme étant “la capacité inhérente d’un organisme ou d’une espèce à se multiplier et à se reproduire" (p. 15). L’auteur conjugue trois sources pour construire son modèle:
Schwarz critique l’analyse de la croissance de l’Église qui se concentre sur la croissance quantitative (nombre de nouvelles personnes). Selon lui, pour faire grandir une Église, il ne faut pas se concentrer sur la quantité de personnes à faire venir à l’Église, mais sur la qualité de la vie de l’Église. Selon Schwarz, si une Église se concentre sur sa qualité de ce qu’elle vit, elle grandira numériquement. Cette approche de Schwarz remet en question une approche pragmatique de la croissance de l’Église qui ne se concentrerait que sur la question: “Comment faire pour avoir plus de monde à l’Église?” (p.15).
L’idée forte de la thèse de Schwarz est que le potentiel de croissance de l’Église est dans son ADN, à l’instar d’une plante.
Les appuis bibliques de l’auteur font cruellement défaut. Concrètement, Schwarz fait reposer sa démonstration du biotisme au nom de l’exemple du Christ qui enseigne au sujet du royaume de Dieu en usant de paraboles tirées de la nature et de l’agriculture (en particulier celle de Marc 4.26-29). Il y a dans la pensée de l’auteur une confusion entre l’Église et le Royaume.
De plus, Jésus n’essaie pas de décrire par quel mécanisme le royaume grandit, mais à quoi le mystère du royaume peut être comparé: l’activité souveraine, progressive et mystérieuse de Dieu pour établir son règne sur Terre.
Ce royaume promis a été inauguré par la venue du Christ, et il est de nature eschatologique.
Par ailleurs, l’Église ne grandit pas d’elle-même, par son ADN, mais surnaturellement grâce à l’œuvre souveraine de Christ qui bâtit son Église (Mt 16.18). Cette promesse s’accomplit après la Pentecôte au travers la prédication de l’Évangile vivifiée par l’Esprit (Ac 2.42, 47; Ac 11.18). L’Église ne tire donc pas sa croissance d’elle-même, comme l’affirme le potentiel biotique de Schwarz, mais du Saint-Esprit agissant avec puissance en elle. C’est Dieu qui la fait croître (1Co 3.6).
L’autre principal argument théologique de Schwarz est que le Créateur agit dans l’Église comme il agit dans la nature. En conséquence, Schwarz ne prend pas comme point de départ les textes néotestamentaires traitant l’Église, mais des lois de la nature:
Si nous suivons l’exemple biblique, en tirant des leçons de la création, nous découvrons plusieurs principes régissant toute vie, y compris l’organisme qu’est l’Église. (p. 61)
Néanmoins, Schwarz rappelle que “si un concept contredit une vérité biblique, les chrétiens doivent la rejeter, même s’il semble apporter "le succès"” (p. 13).
Il est surprenant que Schwarz évoque les principes de la création ou du royaume pour discuter de l'Église, plutôt que de se référer aux textes qui la mentionnent notamment le livre des Actes des Apôtres et les épîtres.
Schwarz propose donc que nous apprenions des Églises en croissance. Il propose 8 critères de qualité qui produiront la croissance
Schwarz remarque que les Églises croissantes ont un leadership qui délègue des responsabilités aux membres. Ceci permet un taux d’engagement plus grand de ces derniers, conformément à l’esprit du sacerdoce universel.
Schwarz souligne “qu’aucun autre critère de qualité n’a autant d’influence sur la vie personnelle et sur celle de l’Église” (p.24). Il considère, à raison, le lien organique entre le sacerdoce universel et le service selon les dons. Le lien est explicitement établi en 1 Corinthiens 12. Toutefois, si les dons sont essentiels dans le service, ils ne font pas tout. L’esprit de service doit aller de pair afin que celui-ci n'ait pas pour but l’épanouissement personnel, mais le bien des autres membres.
Selon ce critère, lorsque la spiritualité de l’Église n’est pas un simple devoir, mais une joie, l’Église grandit. La foi est contagieuse. Schwarz souligne une vérité essentielle: l’orthodoxie d’une Église ne produit pas mécaniquement une vie de foi édifiante. Les vérités de l’Évangile doivent produire la louange du Seigneur et la joie du salut. Cependant, Schwarz rappelle avec sagesse que l’enthousiasme ne suffit pas pour définir la qualité de la spiritualité de l’Église. D’autres religions vivent une spiritualité qui insiste sur l’enthousiasme. Celui des Églises doit être un fruit de l’Esprit et de l’attachement à la Parole de Dieu.
Selon Schwarz, des structures efficaces ont une grande influence sur la croissance de l’Église. Effectivement, les Écritures nous enseignent que l’Église doit avoir des structures adaptées à sa croissance et ses besoins. Par exemple, en Actes 6.1-7, les apôtres nomment 6 hommes pour les aider à organiser la vie de l’Église et la péricope se conclut par:
La parole de Dieu se répandait, le nombre des disciples se multipliait beaucoup à Jérusalem, et une grande foule de sacrificateurs obéissait à la foi.
Actes 6.7
Plus tard, nous constatons que Paul repasse dans les Églises fondées afin d’y établir des anciens (Ac 14.20-23). Les épîtres regorgent, elles aussi, d’enseignement sur le sujet. Les apôtres créent les structures qui permettent l’unité et la croissance. Hélas, Schwarz préfère justifier ce critère par la façon dont la matière biologique se structure d’elle-même (principe biotique) que par les textes bibliques qui offrent une meilleure assise théologique à son propos.
Le dénominateur commun relevé ici est présenté avec sagesse. L’auteur s’attriste que beaucoup d’Églises sont tentées d’imiter le style de culte d’une Église à succès. Selon lui, les Églises ne doivent pas tenter un mimétisme artificiel, mais chercher à ce que leur culte soit une expérience édifiante pour les participants, c'est-à-dire dans lequel le Saint-Esprit est librement à l’œuvre.
Malheureusement, Schwarz n’évoque pas la question de la liturgie. L’Église est sauvée pour être un peuple d'adorateurs qui célèbre la gloire de sa grâce (Ép 1.4-12). Notre culte doit être à la hauteur de notre reconnaissance, désireux d’offrir à Dieu ce qui lui plait et qui est révélé dans les Écritures. Schwarz n’évoque pas non plus la question des sacrements ou de la prédication. Pourtant, dans les Actes des Apôtres, la proclamation de l’Évangile est le moteur de la croissance de l’Église. Cette vérité revient tel un refrain qui rythme le livre (Ac 5.42; 8.4, 25; 12.24; 15.35; 19.10, 18-20; 28.30-31).
L’enquête de Schwarz démontre que toutes les Églises qui grandissent ont des petits groupes de qualité. Schwarz voit dans ces petits groupes le cadre propice pour les relations, l’édification et le service mutuels des membres. Ce chapitre souligne l’importance d’une vie d’Église qui soit réellement celle d’un corps, et non une simple participation à des évènements.
Schwarz invite à faire la distinction entre le rôle des évangélistes et celui de tous les chrétiens. Ces derniers doivent, selon lui, privilégier le témoignage dans leur contexte. Hormis cette affirmation, Schwarz n’apporte aucune précision sur ce qu’est le témoignage ou le rôle des évangélistes. Toutes les Églises souhaitent être adaptées, mais la notion n’est pas définie. Il est donc difficile de tirer un enseignement substantiel de ce critère.
Un chapitre traitant de l’importance de l’humour et de la joie au sein de l’Église peut paraître surprenant dans un ouvrage sur la croissance de l’Église. Néanmoins, par ce biais original, Schwarz donne un indicateur palpable de l’unité et de la joie de la communion fraternelle, mais sans nuance. On peut craindre que si une Église fait de la bonne humeur le critère de santé, de nombreux problèmes de péché et de discipline d’Église puissent être négligés.
Le développement de l’Église propose une approche novatrice qui a inspiré positivement de nombreuses Églises. En vertu de la grâce commune et d’une possible quête de sagesse dans l’analyse de la pratique pastorale de centaines d’Églises, il est possible de relever des informations très utiles pour aider les Églises à grandir.
Beaucoup de défaillances communes aux Églises qui ne grandissent pas permettent d’affirmer qu’il ne faut pas attribuer “le manque de succès uniquement au message de la croix” (p.79). Ce faisant, Schwarz enjoint l’Église à ne pas se cacher derrière de fausses excuses et à rechercher à devenir plus qualitative.
Le livre dissipe de nombreux mythes sur la croissance quantitative de l’Église en se concentrant sur des critères de qualité. Schwarz entend ainsi se distancer des méthodes de son époque. Par la notion de croissance naturelle, il rappelle qu’il y a un lien entre l’identité de l’Église et sa croissance. Le livre des Actes des apôtres le démontre: L’Esprit fait grandir l’Église par l’annonce de l’Évangile. En d’autres l’Église, elle est le fruit de la Parole semée.
Schwarz fait la moitié du chemin quand il affirme qu’il faut travailler à ce qui peut faire obstacle à cette croissance. L’autre moitié du chemin est de laisser l’Esprit agir dans l’Église à travers l’annonce de l’Évangile et l’obéissance de l’Église à la Parole. Dans ce sens, certains des huit critères que propose Schwarz pour qu’il y ait une croissance sont adéquats.
Cela dit, beaucoup des thèmes ecclésiologique du Nouveau Testament sont absents: la prédication, la fidélité doctrinale, la conversion, la multiplication des disciples, la discipline ecclésiastique, les sacrements, la membriété, les anciens et les diacres (et leurs qualités pour l’être), la gestion saine des finances… Et cela révèle la faille du modèle de Schwarz.
Schwarz utilise la Bible afin de prouver les principes biotiques et fonde son modèle sur ces derniers. Son paradigme de la croissance naturelle de l’Église est l’application pragmatique d’observations de la nature et de ce qui fonctionne dans les Églises locales sondées.
Mais, est-ce à la Bible d’être vérifiée empiriquement ou à l’Église d’être évaluée par la Bible? La nature et le plan de Dieu pour l’Église ne découlent pas d’observations ou de descriptions naturelles, mais des Écritures. C’est à elles seules que revient le rôle et l’autorité de fixer les "critères de croissance", et c’est en s’y soumettant dans nos pratiques que nous avons l’assurance de plaire à Dieu.
webinaire
La prière: retrouver le plaisir de parler à notre Père
Découvre le replay du webinaire de Romain T. sur la prière, enregistré le 09 juin 2022.
Orateurs
R. T.