Dans le discours public, le terme "Évangile" est parfois employé pour faire référence à l’action sociale et à l’amour du prochain si chers aux chrétiens. Or aider les plus démunis, est-ce vraiment cela l'Évangile?
Dans un reportage récent, j’entendais que le pape actuel, qui milite en faveur d’un train de vie modéré au sein du clergé et d’une action plus conséquente de l’Église catholique à l’endroit des nécessiteux, prônait ainsi un retour à l’Évangile. Qu’en est-il du point de vue biblique?
L’Évangile est la Bonne Nouvelle de ce que Dieu a fait pour nous par Jésus-Christ. L’Évangile n’est pas ce que nous faisons pour Dieu, c’est ce que Dieu a fait pour nous en intervenant de manière décisive dans l’histoire.
Que penser alors d’affirmations comme celles-ci?
« L’Évangile c’est…
…aimer son prochain. »
…se préoccuper des souffrances de la société (œuvre pour la justice sociale). »
…porter sa croix. »
…donner sa vie à Dieu. »
…faire des sacrifices pour le bien d’autrui. »
…s’investir dans la vie communautaire de nos assemblées locales. »
Toutes ces choses sont essentielles, mais elles ne constituent pas l’Évangile. Ce sont plutôt des implications concrètes de l’Évangile.
L’accueil de l’Évangile (par la foi) débouche nécessairement sur l’amour du prochain, la justice sociale, la mort à soi-même, la consécration totale à Dieu, l’esprit de sacrifice, la vie d’Église. Ces aspects de la vie chrétienne s’inscrivent dans notre réponse face à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Parce que Dieu a agi, nous agissons. Nous sommes volontaires, motivés par le message qui a bouleversé notre existence.
La Bible va même plus loin: si nous ne pratiquons pas le bien dans la vie de tous les jours, nous devons nous demander si nous avons vraiment compris l’Évangile. En effet, la foi sans les œuvres est morte (Jc 2.14-17). Du coup, si nous n’aimons pas notre prochain, et si nous ne nous intéressons pas aux plus démunis, peut-être n’avons-nous jamais sincèrement adhéré à l’Évangile.
Pour le dire positivement: parce qu’ils sont aimés de Dieu (c’est ce que l’Évangile leur apprend), les chrétiens ont envie d’aimer les autres.
Sommes-nous en train de jouer sur les mots? Si tous s’entendent pour affirmer que les chrétiens devraient aimer leur prochain, pourquoi s’inquiéter des mots qu’on emploie pour le dire? « N’est-ce pas le résultat qui compte? Qu’importe que l’on qualifie ou non d’“Évangile” l’aide proposée aux pauvres! Encore un débat qui n’intéresse que les théologiens… »
En réalité, cette discussion est importante pour nous tous et le choix des mots est révélateur. Car l’une des clés de la vie chrétienne, c’est d’être au clair sur la distinction entre ce que Dieu a fait pour nous et ce qu’il nous appelle à faire pour lui. C’est aussi de bien saisir l’articulation des deux.
Si je confonds l’Évangile et l’obéissance aux commandements de Dieu, je cours le risque d’adopter (inconsciemment) une attitude légaliste. Dans ce scénario, ma paix intérieure fluctue au rythme de mes sentiments de succès ou d’échec (« ai-je suffisamment été au service des autres aujourd’hui? »). En général, quand je fais la liste de mes accomplissements, je ne découvre pas une « bonne nouvelle », mais plutôt une « mauvaise nouvelle »: Je ne suis pas à la hauteur!
Si, au contraire, je distingue bien l’action de Dieu et la mienne, alors ma joie peut se développer. Mon statut devant Dieu ne dépend pas de moi, mais de Christ, mon Sauveur. Dans ce scénario, j’ai une juste perspective sur mes œuvres: elles sont simplement une manière de dire merci à Dieu d’avoir aimé une personne aussi peu méritante que moi. Elles me procurent même du plaisir (ce qui ne signifie pas qu’elles sont toujours faciles à accomplir).
Et ce n’est pas qu’une question de paix intérieure et de joie. Notre puissance de vie est aussi en jeu. C’est l’Évangile qui est puissant (Rm 1.17), non mon obéissance aux injonctions divines. Quand on cherche à changer soi-même sa vie, on se rend vite compte que la puissance n’est pas au rendez-vous. Si nous appelons « bonne nouvelle » (car c’est bien le sens du terme « Évangile ») nos propres œuvres, nous montrons que nous n’avons pas pris la mesure de notre dépendance envers Dieu.
Les dictionnaires de la langue française ne sont pas des ouvrages théologiques, et on ne peut pas toujours s’y fier quand on cherche la définition d’un terme biblique. Pourtant, parfois, ils nous réservent de belles surprises.
Selon Le Grand Robert que j’utilise (version numérique), l’Évangile (avec un E majuscule) est la « bonne nouvelle de la rédemption du monde par Jésus-Christ ». Et l’amour du prochain, ainsi que la douceur, sont des « vertus enseignées par l’Évangile ».
Je signe des deux mains. L’amour du prochain n’est pas l’Évangile, mais l’Évangile nous enseigne l’amour du prochain. Et j’ajouterais qu’il nous en donne la puissance, qui nous fait défaut.
Je ne suis pas au cœur de la Bonne Nouvelle, c’est la croix de Christ et sa résurrection qui s’y trouvent. Par conséquent, pour vivre davantage les implications de l’Évangile (par exemple l’amour du prochain), rien de plus efficace que de se centrer sur la croix.
Qu’est-ce que cela signifie? J’ai essayé de répondre à cette question dans un billet qui présente et explique l’équation d’une vie centrée sur la croix.
Si nous avons à cœur de servir notre prochain, c’est parce que Christ « est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup » (Mc 10.45).
N.B. J’avais publié cet article le 26 janvier 2016. Je l’ai republié en 2019, puis le 11 juillet 2022 pour atteindre de nouveaux lecteurs.
webinaire
Est-ce que ma vie chrétienne est "normale"?
Ce replay du webinaire de Dominique Angers a été enregistré le 21 Octobre 2021.
Orateurs
D. Angers