Augustin, Luther, Calvin, Bonhoeffer: tous des pasteurs. Mais des pasteurs que nous connaissons principalement au travers de leurs écrits. Et s'ils nous encourageaient à écrire? Augustin a dit: "Je suis un homme qui écrit parce qu'il a fait des progrès et qui fait des progrès en écrivant." Peter R. Schemm Jr. relève les 6 bienfaits de l'écriture dans le ministère pastoral [ENG]. L'article est paru dans Themelios¹. Bien sûr les 6 bienfaits sont valables pour tout le monde, y compris et surtout pour les pasteurs. Je propose ici mes notes françaises. C'est mon résumé, pas une traduction. Les deux points les plus importants selon l'auteur sont cités en dernier.
Écrire aide à approfondir notre intellect. Et il n’y a pas de meilleur outil pour le travail intellectuel que le stylo, le crayon ou le clavier. Ils sont la pelle et la pioche de l’intellect. Écrire est une façon de creuser, d’approfondir le puits de notre pensée. En écrivant, nous déterrons une phrase à la fois. Ce n’est peut-être pas impressionnant au début. Mais après quelques jours de manœuvres, la profondeur des progrès est évidente.
L’Église a besoin de leaders profondément spirituels, et un pasteur qui écrit sera généralement plus réfléchi (litt. « profond ») que s’il n’écrivait pas. Alors, qu’il écrive des notes, des lettres ou qu’il s’exprime dans un journal intime, sur un blog, par des articles ou les manuscrits de ses sermons, un pasteur peut s’entrainer à approfondir son âme et son intellect en écrivant. Et cela, avec le temps, approfondira aussi les âmes des membres de son Église.
Quand on écrit, on donne une forme définie à des pensées qui existaient bel et bien dans notre tête, mais qui n’avaient jusque-là pas de forme claire. L’écrit permet ainsi d’examiner nos propres intuitions.
Les pasteurs devraient écrire, parce que la clarté de pensée est d’ordre spirituel. Quand nous recherchons une pensée claire, nous sommes, dans un sens, en train de rechercher Dieu lui-même. Nous cherchons, étant faits à son image, à revenir à la clarté d’esprit de notre état d’avant la chute (Ge 1.26-27). Notre capacité de refléter Dieu par notre intellect a été déformée et souvent ce n’est pas la clarté qui décrit notre réflexion, mais le trouble. Mais nous pouvons espérer retrouver la vue par la révélation écrite de Dieu. Un des passages des Psaumes les plus remarquables dit que l’Écriture est ce qui illumine les yeux de notre esprit:
Le commandement de l’Éternel est limpide, il éclaire les yeux. (Ps 18.9)
La discipline d’écrire régulièrement nous aide, car écrire requiert un certain rythme de vie. La plupart d’entre nous courons trop vite pour atteindre ce rythme. Écrire demande un certain ordre et rythme de vie. Nous devons suivre certaines règles littéraires et des techniques. Toutes ces choses reflètent l’ordre ultime qui existe en Dieu lui-même.
Écrire peut nous aider à trouver un rythme de vie adapté parce qu’il nous ralentit. Il y a quelque chose de terriblement inefficace dans l’écriture. Notre premier jet n’est quasiment jamais le bon. Une écriture de qualité prend du temps, de la patience et des brouillons. C’est par nature un exercice en humilité. Pourquoi donc consacrer du temps à l’écriture si c’est inefficace et même humiliant? Écrire nous oblige à ralentir et ça c’est un bon exercice pour des âmes surbookées.
Il y a des domaines dans la vie où nous ne devrions pas être « efficaces ». D’ailleurs, dans certaines activités, nous devrions être tout sauf efficaces. Nous ne devrions pas chercher à adorer Dieu efficacement ou aimer nos enfants efficacement, n’est-ce pas? Si nous devions parler en ces termes, les gens ne nous verraient certainement pas comme aimants, et ils auraient raison. Quand nous développons la discipline d’écrire, nous apprenons à être autre chose qu’efficace. Nous apprenons à ajuster notre vitesse. Nous apprenons la patience et l’importance de ralentir.
Un quatrième bienfait de l’écriture est le calme et la tranquillité, le silence et la solitude qu’elle apporte à l’âme. Vivre d’une manière qui encourage une vie paisible et tranquille est une marque de piété. Pour bien écrire, on a besoin de calme et de solitude. Certains ont carrément besoin de silence et de solitude. Pour emprunter une métaphore d’Anselm, écrire nous aide à entrer dans la chambre de la pensée » et « fermer la porte » afin de chercher Dieu. Quelque chose se produit dans la chambre de l’esprit qui a rarement lieu ailleurs.
Choisir de se retrouver seul n’est pas une chose facile à vouloir pour beaucoup d’entre nous, y compris pour les pasteurs. Nous ne sommes pas habitués au silence et à la solitude. Nous avons étés formés à remplir nos propres mondes avec du bruit et des activités. Il ne nous semble plus possible de vivre sans téléphone portable, iPad, emails et la télévision HD. Le silence nous effraie, parce que nous ne savons pas qui nous sommes sans bruit. Le silence nous met face-à-face avec Dieu ou nous-mêmes.
Il y a quelque chose d’incroyablement rafraîchissant à entrer dans la chambre de l’esprit, et d’y être seul pour réfléchir et écrire. Il y a quelque chose là qui fait de nous des meilleurs bergers pour d’autres âmes sur-occupées.
En quoi écrire régulièrement aide-t-il les pasteurs dans leur propre compréhension des Écritures et de l’Évangile? Notre ministère est un ministère de paroles. Mais en tant que pasteurs, notre ministère de paroles ne commence pas avec la prédication. Il commence en écoutant et en entendant. Il commence en comprenant le ministère de paroles de Dieu pour nous. Une très bonne manière d’apprendre le ministère des mots est en recopiant simplement les Écritures. C’est une pratique ancienne et personnelle que les pasteurs ont utilisée pour sa valeur intrinsèque. C’est une façon de voir, entendre et apprendre la Parole de Dieu. Luther estimait d’une valeur incomparable les disciplines personnelles qui utilisent « les mots même du livre. »
La prière est une autre discipline fondamentale. La prière est si importante que certains disent que c’est la plus importante de toutes les disciplines spirituelles. Je préfère dire que la Parole et la Prière sont le centre, ou le cœur, d’une vie consacrée (Actes 6.4). Parole et prière dépendent l’un de l’autre. Et sans ces deux, aucune des autres disciplines spirituelles n’a vraiment de sens.
Donald Bloesch décriait il y a déjà 30 ans de cela l’absence d’une piété Protestante.
S’il y a quelque chose de caractéristique dans le Protestantisme moderne, c’est l’absence de disciplines spirituelles, d’exercices spirituels. Pourtant ces disciplines sont au cœur d’une vie pieuse [litt. consacrée]. Ce n’est pas une exagération de dire que c’est la dimension manquante du Protestantisme contemporain.
Avant de retrouver cette dimension dans nos églises, nous devons commencer chez nous-mêmes. Voici quelques manières dans la pratique régulière de l’écriture peut aider les pasteurs dans la prière:
Premièrement, écrire nos prières nous aide à voir plus clairement ce qu’on est en train de demander dans nos prières. Des prières écrites se prête à plus d’objectivité quant à nos « besoins » et nos « sujets de prière ». Écrire à la main nos prières ou recopier et prier un Psaume permet de nous rappeler qu’il y a d’autres façons de s’approcher de Dieu qu’avec des pétitions.
Deuxièmement, écrire nous aide à éviter les prières vides et mécaniques. Un pasteur n’est pas plus à l’abri qu’un autre de « multiplier des vaines paroles » (Mt 6.7). Prendre le temps pour écrire une prière ou reprendre celle de quelqu’un d’autre nous aide à trouver la grammaire de prière avec la substance, la gravité et la sobriété qui conviennent.
Troisièmement, écrire nous aide à nous rappeler dans l’acte même de la prière et la méditation. Parfois nous écrivons afin de noter une pensée à propos de Dieu, afin de pouvoir y revenir plus tard. Augustin écrivait durant ses prières pour exactement cette raison: « [J’]empêche mon oublie de vagabonder avec mes méditations en les fixant au papier. » C’est significatif qu’Augustin ait écrit ces mots alors qu’il méditait sur l’unité trois-en-un de la personne de Dieu. Par la prière et la méditation, Augustin vint à écrire un des ses livres théologiques les plus importants: La Trinité.
Pourquoi devrions-nous, nous pasteurs occupés, prendre le temps pour écrire? N’y a-t-il pas des choses plus importantes à faire? La pauvreté et l’injustice sociale abondent. Le monde souffre. Et par-dessus tout cela, les obligation du ministère pastoral semblent sans fin: que ce soient les budgets et bâtiments, les crises et les conseils, les missions et les implantations d’églises, sans compter la préparation hebdomadaire pour le ministère de la Parole. Comment pouvons-nous prendre du temps pour écrire alors que des âmes périssent? Écrire, est comparativement trivial.
C.S. Lewis nous aide à répondre à cette question avec sa sagesse habituelle. Dans son discours « Apprendre en temps de guerre », il affirme que l’érudition et l’université ne sont pas des poursuites futiles, même durant l’intensité de la seconde guerre mondiale. Les être humains ont toujours vécu et vivront toujours au bord du précipice. Lewis explique par là qu’il n’y aura jamais un temps propice, une saison parfaite pour étudier et méditer. Nous vivons dans un monde brisé. « Si les hommes avaient retardé la quête de la connaissance et de la beauté jusqu’à ce qu’ils trouvent la sécurité, la quête n’aurait jamais débuté. »
C’est aussi vrai en tant que pasteur. Si nous retardons notre recherche, attendant que les choses se calment et que la vie redevienne normale, nous ne commencerons jamais. Le ministère pastoral n’a jamais été normal et il ne le sera jamais. C’est précisément pour cela qu’on prend néanmoins du temps pour écrire. Nous écrivons, parce que la quête a débuté. Et par l’écriture, elle continue. Nous écrivons parce que c’est une discipline formatrice pour le bien de nos âmes.
¹ Schemm Jr., Peter R. “The Writing Pastor: An Essay on Spiritual formation.” Themelios 37, no. 3
(November 2012): 480–487.
NDLR: Cet article fut republié le 23 septembre 2017. Il a été initialement écrit en 2014 (ou peut-être même avant)