En France, Un moment avec Jésus de Sarah Young a occupé la première place des ventes dans de nombreuses librairies chrétiennes, avec plus de 15 millions d’exemplaires écoulés en quelques années. Malgré cette popularité, ce livre soulève plusieurs problèmes graves que nous souhaitons mettre en lumière.
Un moment avec Jésus de Sarah Young est un phénomène qui ne montre aucun signe d’essoufflement. Selon l’éditeur Thomas Nelson, “le nombre d’exemplaires vendus augmente chaque année depuis sa première parution, et il s’en est écoulé plus de 15 millions”.
Thomas Nelson mène actuellement une nouvelle campagne marketing, comprenant un site web dédié et des méditations radio quotidiennes.
L’ECPA (l’association américaine des éditeurs chrétiens évangéliques) précise que “Thomas Nelson a établi un partenariat avec le groupe Salem Media pour diffuser des messages quotidiens de 60 secondes pendant l’émission d’Eric Metaxas, diffusée sur plus de 100 stations de radio aux États-Unis et dans le monde via SiriusXM Radio. Les méditations radio de Un moment avec Jésus touchent chaque jour plus de 500 000 auditeurs grâce à ces clips audio”.
Avec plus de 15 millions d’exemplaires vendus, cet ouvrage figure parmi les rares livres ayant atteint un tel succès. Pourtant, il s’avère profondément troublant. Je souhaite mettre en lumière dix problèmes majeurs qu’il soulève, dans l’espoir que vous prêtiez attention à ces avertissements.
L’aspect le plus problématique du livre est, de loin, sa revendication de base: Sarah Young prétend entendre Jésus lui parler et retranscrit fidèlement ces messages à ses lecteurs. Un moment avec Jésus avance l’affirmation la plus audacieuse, la plus effrontée et, à mes yeux, la plus arrogante de tous les livres considérés comme chrétiens. L’éditeur le présente ainsi:
Après de nombreuses années à écrire ses propres mots dans son journal de prières, la missionnaire Sarah Young a décidé d’être plus attentive à la voix de son Sauveur et a commencé à écouter ce qu’il disait.
Stylo en main, elle a donc embarqué pour une aventure qui l’a changée pour toujours, elle et bien d’autres à travers le monde. Dans ces pages puissantes se trouvent les paroles et les écrits que Jésus a mis sur son cœur avec amour. Des paroles de consolation, de réconfort et d’espérance. Des paroles qui l’ont rendue de plus en plus consciente de sa présence et qui lui ont permis de bénéficier de sa paix.
Il est impossible de passer à côté de son affirmation selon laquelle elle transmet des révélations divines, une revendication qui soulève de nombreuses questions et inquiétudes. Et pas des moindres, puisque l’on peut se demander quelle est la vision de l’auteure par rapport à la doctrine de l’Écriture seule, qui affirme que la Bible, et elle seule, est suffisante pour nous guider dans toutes les questions relatives à la foi et à sa pratique.
Un moment avec Jésus n’existe que parce que Sarah Young nourrissait le désir profond d’entendre Dieu en dehors de la Bible. Dans l’introduction, elle raconte la genèse de ce livre:
J’ai commencé à me demander si je […] pouvais recevoir des messages pendant mes temps de communion avec Dieu. J’avais écrit dans mes journaux de prière pendant des années, mais c’était de la communication à sens unique: ce n’était que moi qui parlais. Je savais que Dieu communiquait avec moi par la Bible, mais je voulais plus. De plus en plus, je voulais entendre ce que Dieu avait à me dire personnellement, un jour donné.
Dans ces quelques phrases, elle installe une concurrence inutile entre sa révélation et ce que la Bible affirme:
Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice, afin que l’homme de Dieu soit accompli et propre à toute bonne œuvre.
2 Timothée 3.16-17
Bibliquement, il n’existe pas de catégorie pour ce qu’elle présente comme le cœur et l’âme de son livre. Bibliquement, nous n’avons ni besoin, ni raison, de tenir compte de ce qu’elle décrit.
Young ne se limite pas à la pratique de l’écoute, elle en fait même une discipline spirituelle majeure:
La pratique de l’écoute de Dieu a augmenté mon intimité avec lui plus que toute autre discipline spirituelle. Je veux donc partager quelques-uns des messages que j’ai reçus. Dans beaucoup de parties du monde, les chrétiens semblent rechercher une expérience plus profonde de la présence de Jésus et de sa Paix. Les messages qui suivent répondent à ces besoins.
Il est à noter que sa solution pour répondre au besoin de la présence et de la paix de Jésus n’est ni la Parole ni tout autre moyen de grâce, mais les messages qu’elle transmet dans son livre.
Dans les premières versions de Un moment avec Jésus, Young évoque sa découverte du livre God Calling ("L’appel de Dieu") et la manière dont elle a calqué sa pratique de l’écoute sur celui-ci. Elle le décrit ainsi:
Un livre de méditations écrit par deux "auditrices" anonymes. Ces femmes pratiquaient l’attente calme dans la présence de Dieu, papier et crayon en main, transcrivant les messages qu’elles recevaient de lui. Ce petit livre de poche est devenu un trésor pour moi. Il convergeait remarquablement bien avec mon aspiration de vivre dans la présence de Jésus.
Il est intéressant de noter que, dans les versions récentes de Un moment avec Jésus, cette information a été omise. God Calling est un ouvrage tout aussi troublant, qui a rencontré un grand succès dans les années 1930 et a connu un regain d’intérêt après la parution de Un moment avec Jésus. Il dépasse parfois le cadre de la Bible et, par moments, se montre ouvertement non biblique. Pourtant, Sarah Young le considère comme un trésor et un modèle pour son propre livre.
Young admet que sa révélation diffère de celle de la Bible:
La Bible est, bien entendu, la seule Parole de Dieu infaillible; ce que j’écris doit être conforme à cette norme immuable.
Cependant, elle n’explique pas en quoi ses écrits diffèrent concrètement. Le pasteur Jesse Johnson note dans un article:
Elle admet que le contenu de Un moment avec Jésus devrait être lu à la lumière de la Parole, mais c’est également le cas lorsqu’on lit les Écritures. En fin de compte, il n’y a pas de grande différence entre la façon dont Young veut que nous voyions les paroles que Jésus lui a adressées, et celles avec lesquelles il nous parle dans la Bible. Je veux dire que les paroles de Jésus données à Sarah sont littéralement emballées dans une méditation, de sorte que nous puissions chaque jour faire notre culte personnel à partir de ces révélations1.
Si les paroles de Sarah Young sont réellement celles de Jésus, comment pourraient-elles avoir moins d’autorité et être moins engageantes que n’importe quelle parole de l’Écriture?
La manière dont Young reçoit ses révélations de Jésus présente des relents d’occultisme:
J’ai décidé d’écouter Dieu papier et crayon en main, écrivant ce que je croyais être les paroles de sa part. Je me suis sentie bizarre la première fois que j’ai essayé, mais j’ai reçu un message. Il était court, biblique et à propos. Il abordait des sujets qui étaient actuels dans ma vie: la confiance, la peur et la proximité avec Dieu. J’ai répondu en écrivant dans mon journal de prière.
Cette démarche s’apparente à la pratique de l’écriture automatique, ou "psychographie", que Wikipédia décrit ainsi:
Selon la doctrine spirite, un esprit peut […] influencer directement les mouvements du bras ou de la main du médium. Il suffit à ce dernier de tenir en main un crayon ou un stylo, au-dessus d’une feuille de papier, pour obtenir des phrases. Dans ce cas, le médium n’a pas la moindre conscience de ce qu’il écrit2.
L’inspiration de Sarah Young provient du livre God Calling, où il est encore plus manifeste que les auteures ont vidé leur esprit pour recevoir des messages de Dieu. Cette pratique s’éloigne profondément de la révélation biblique, que Dieu a donnée à travers les pensées, les personnalités et même les recherches des auteurs de la Bible.
Un moment avec Jésus met l’accent sur des points sensiblement différents de ceux de la Bible. Par exemple, l’auteure parle rarement de péché et de repentance, et encore moins de l’œuvre de Christ sur la croix. Michael Horton observe dans sa recension:
En termes de contenu, le message du livre peut être réduit à un seul point: “Aie de plus en plus confiance en moi en étant dépendant de moi chaque jour, et tu jouiras de ma présence.”3
Même si cela n’est pas nécessairement non biblique ou inapproprié, cela correspond à peine à l’idée maîtresse de la Bible, qui découle de l’Évangile de Jésus-Christ et nous ramène à lui. Horton ajoute:
La première mention du Christ lui-même, mourant pour nos péchés, se situe le 28 février (page 61). La référence suivante (revêtir la robe de Christ) est le 9 août (page 232). Même les lectures de décembre se focalisent sur une présence générale de Jésus dans notre cœur et notre quotidien, sans s’ancrer dans la personne de Jésus ni son œuvre dans l’Histoire.
On ne peut nier que le Jésus de Sarah Young ressemble étrangement à une femme d’âge mûr du vingt-et-unième siècle, de culture occidentale. Si c’est vraiment Jésus qui parle, pourquoi son langage semble-t-il si différent de celui du Jésus des Évangiles ou de l’Apocalypse?
Nulle part dans les Écritures, Jésus ou son Père n’affirme quelque chose comme:
Quand ta joie en moi rejoint ma joie en toi, il y a des feux d’artifice dans une extase céleste.
[…]
Porte mon amour comme un manteau de lumière, qui te couvre de la tête aux pieds.
[…]
Apporte-moi le sacrifice de ton temps précieux. Cela produit un espace sacré autour de toi – espace imprégné de ma présence et de ma paix.
Pourquoi ce langage soudainement si différent?
En élevant la discipline spirituelle de l’écoute à la première place, Sarah Young crée de la confusion concernant les disciplines que Dieu prescrit aux chrétiens. Michael Horton note:
D’après le courant de la Réforme au sein du mouvement évangélique, Dieu nous parle par sa Parole (la flèche qui pointe vers le bas, de Dieu jusqu’à nous) et nous lui parlons par la prière (la flèche qui pointe vers le haut, vers Dieu). Cependant, Un moment avec Jésus confond la direction des flèches, en floutant la distinction entre les paroles de Dieu et notre réponse.
Ce que soutient Sarah Young est à la fois confus et inutile.
Peu de lecteurs savent que Un moment avec Jésus a été révisé, non seulement dans l’introduction (où l’auteure a supprimé les références à God Calling), mais aussi dans les messages qu’elle prétend avoir reçus de Jésus. Cela remet en question la fiabilité des révélations qu’elle rapporte. Après tout, pourquoi des paroles de Jésus nécessiteraient-elles des révisions ? Dieu aurait-il menti ? Aurait-il changé ? Les aurait-elle mal entendues ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante à cela, si ce n’est de douter de tout ce qu’elle prétend avoir reçu.
L’organisation CARM [Christian Apologetics & Research Ministry] propose la comparaison suivante pour illustrer les corrections majeures apportées au livre:
Nous sommes donc devant une évidence: Un moment avec Jésus est un livre construit sur une base défectueuse et, de ce fait, dangereux et indigne de notre attention ou de notre soutien. La grande tragédie est qu’il détourne les lecteurs des moyens de grâce qui sont si doux et si satisfaisants, à condition de les accepter et de les adopter.