Ce que Tolkien a si bien fait et que nous faisons si mal

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Au cours de ces dernières semaines, j’ai lu Le Seigneur des anneaux, errant, vagabondant doucement dans la Terre du Milieu pour la énième fois. Chaque fois que je lis ces livres, je me retrouve plongé dans quelque chose de différent, dans une espèce de démonstration du génie de Tolkien. Une des forces qui distingue son travail d’autres fantaisies est sa profondeur. Tolkien n’a pas simplement écrit une histoire, il a créé un monde. Avant d’écrire un récit avec des personnages, il a créé une mythologie, des planètes, des races, des langues, une Histoire. Alors que nous lisons les aventures d’une petite communauté sauvant le monde d’un grand péril, nous réalisons que ses actions sont l’aboutissement de milliers et de dizaines de milliers d’années. C’est au cœur des actions de cette communauté que les races convergent, les prophéties se réalisent, les âges finissent et commencent à nouveau.

Au cours de cette lecture, je me suis rendu compte que j’étais particulièrement impressionné par l’Histoire de la Terre du Milieu, et je considère celle-ci comme l’un des plus grands succès de Tolkien. Mais l’auteur ne crée pas seulement une histoire dans ses plus fins détails de manière obsessionnelle, il y inscrit aussi fidèlement ses personnages. Il en fait des acteurs petits mais importants dans une pièce bien plus grande, bien plus vaste. Ses personnages ont toujours conscience de ceux qui les ont précédés et de ceux qui viendront après eux. Les personnages ne sont pas tout seuls dans cette histoire, ils sont toujours dans l’ombre de leurs ancêtres.

Ainsi, le récit se déroule souvent lentement, tourné vers l’avenir mais aussi vers le passé. Même après une scène palpitante, Tolkien va avoir tendance à tout de suite retourner à un rythme plus lent. Ce merveilleux petit passage laborieux suit de près une bataille chaotique:

« Non, tu ne comprends pas, dit Gimli. Aucun nain ne pourrait rester insensible à une telle beauté. Aucun du peuple de Durin ne songerait à exploiter ces grottes pour la pierre ou le minerai, quand bien même il y aurait de l’or et des diamants. Vous viendrait-il à l’idée de couper des bouquets d’arbres en pleine floraison printanière pour en faire du bois de chauffage? Au lieu de les exploiter, nous entretiendrions ces clairières de pierre florissante. Avec un prudent savoir-faire, un petit coup à la fois – au plus un mince éclat de roche, peut-être, dans toute une impatiente journée – pour que nous puissions travailler; et au fil des ans, nous ouvririons des nouvelles voies, et de lointaines salles encore sombres, jusque-là de simples vides entraperçus entre les fissures du roc, seraient mises au jour. Et des lampes, Legolas! Nous ferions des lampes, brillantes comme il s’en trouvait jadis à Khazad-dûm; et quand l’envie nous en prendrait, nous chasserions la nuit qui gît là-bas depuis le façonnement des collines; mais si nous voulions le repos, nous la laisserions revenir. » (Tome 2 – Les Deux Tours)

L’une des plus grandes forces de l’œuvre de Tolkien est son ancrage dans l’Histoire. L’une des plus grandes faiblesses de l’Église moderne est son détachement de sa propre Histoire. Peu de personnes parmi les chrétiens aujourd’hui ont une idée précise de la manière dont l’Église en est venue à exister. Ils ont entendu parler des Actes, de la Réforme et de Billy Graham, mais un flou subsiste en ce qui concerne le reste. Ils ne connaissent pas leurs ancêtres, ceux qui ont fidèlement proclamé et transmis la foi. Ils n’ont aucune base en Histoire, leur propre Histoire.

Cette vérité n’est évidemment pas universelle. J’ai fréquenté ceux qui tiennent fermement à leur Histoire: des presbytériens réformés qui aiment les Covenantaires aux anglicans qui ont de l’estime pour Cranmer et un grand nombre de ses contemporains, aux membres de l’Église Réformée hollandaise qui honorent les hommes qui ont formulé leurs croyances. (Je suis même allé dans une de leurs écoles, le lycée Guido de Brès à Hamilton.) Mais beaucoup d’autres restent complètement détachés de leur passé.

Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles nous devrions enseigner leur Histoire aux croyants. L’Histoire nous donne un but. L’Histoire nous donne de l’espoir. L’Histoire nous donne des bases théologiques. Mais surtout, l’Histoire nous rappelle que nous vivons dans l’ombre de ceux qui nous ont précédés, et que ceux qui viendront après nous regarderont, à leur tour, vers nous.

Les personnages du Seigneur des Anneaux savent qu’ils sont placés dans une Histoire plus grande qui a commencé il y a bien des siècles et qui continuera encore pendant de longues années. Ils sont déterminés à agir d’une manière qui honore leurs ancêtres et qui laissera un exemple digne de ce nom à leurs descendants. Leur bravoure est motivée par la compréhension du fait que l’Histoire les a amenés à ce moment précis, à cet endroit précis, dans cette situation précise. Leur noblesse et leur Histoire sont inséparables. Ils parlent et se comportent comme si chaque mot qui sortira de leur bouche et chaque coup de marteau va honorer ou déshonorer ceux qui sont partis avant eux, et va bénir ou faire honte à ceux qui viendront après eux.

Nous ferions bien d’apprendre de leur exemple. Nous devons nous aussi replacer les croyants dans leur Histoire. Nous devons nous aussi leur apprendre qu’ils sont petits mais importants dans une pièce bien plus large et bien plus grande. Ils doivent toujours être conscients de ceux qui les ont précédés et doivent toujours penser à ceux qui viendront après eux. Ils sont toujours dans l’ombre de leurs ancêtres et non pas tout seuls dans cette Histoire. Ce que Tolkien a si bien fait, nous le faisons si mal.

Article traduit avec autorisation.
Merci à Amélie Sieffert pour la traduction.

Tim Challies

Tim Challies est pasteur d'une Église à Toronto et l'auteur du blog Challies.com, l'un des sites évangéliques les plus populaires au monde. Retrouvez ici tous ses livres en français.

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