Memento Mori

The Giver: l'ataraxie est-elle la condition du bonheur?

Vision chrétienne du mondeCritique de film

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Publié le

14 mai 2018

Dans ce nouvel épisode de Memento Mori, Raph et Matt analysent la vision du monde de The Giver, un film de science-fiction. Le scénario tourne autour des thèmes de la mémoire et du contrôle de la liberté... Garanti sans spoiler !

Thématique

Dans cet épisode, Raph et Matt répondent aux questions suivantes:

  • Quelle est l’histoire du film?
  • Quelle est la vision du monde de The Giver?
  • Quels sont les thèmes intéressants d’un point de vue biblique?
  • Comment utiliser le film avec une portée apologétique?

Synthèse MM #7

Ce travail de synthèse est fait par un auditeur attentionné. Il ne retranscrit pas les propos exacts de l’épisode, mais vise à présenter le contenu.

On va parler d’un film de science-fiction qui s’appelle The Giver. En français, le titre est Le passeur; c’est le titre du livre dont le film est une adaptation.

Quelle est l’histoire du film?

Le film commence en noir et blanc avec une communauté. On apprend qu’elle a été reconstruite à partir de ruines. On imagine qu’il y a quelque chose de grave qui s’est passé, de cataclysmique. Et dans cette société, on a enlevé les émotions et les sentiments. Chacun a un rôle à jouer dans cette communauté. Les enfants sont assignés à une famille dès leur naissance. On découvre à la fin de leur adolescence le rôle qu’ils vont jouer dans cette société. Chacun a donc un rôle assigné. On suit 3 adolescents durant le film et le héros, qui est l’un de ces 3 jeunes, est désigné pour être le « receveur », c’est-à-dire pour recevoir tous les souvenirs de ce qui a précédé le cataclysme qui a touché la société. C’est le seul à savoir ce qui s’est passé auparavant. On suit donc ce personnage qui va recevoir des souvenirs, et en parallèle on suit ses amis.

Il reçoit comme un don qui lui est transmis par le précédent receveur, celui d’avoir les capacités de connaître toute l’histoire de l’humanité qui a précédé cette société. En fait, on se rend compte qu’il est né avec ce don, il possède une marque de naissance caractéristique.

Quelle est la vision du monde de The Giver?

La question que pose ce film est: est-ce que le malheur est attaché aux émotions?

Ce film fait penser à un grand classique: 1984 de George Orwell (qui a aussi donné un film). C’est ce qu’on appelle des uchronies, des récits de science-fiction ou d’anticipation dont le point de départ est un élément de notre histoire pour en créer un monde avec des points fictifs. Par exemple, 1984 part d’une guerre nucléaire, comme celle de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et ils créent un nouveau monde. Il y a le même thème de l’interdiction du souvenir. On souhaite effacer tout ce qui s’est passé avant.

Un autre livre classique avec ce thème est Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Ce livre reprend cette thématique de l’eugénisme où l’on veut tout contrôler par la génétique, la procréation et faire des êtres humains parfaits en leur assignant une tâche définie d’avance. La notion de famille naturelle disparaît.

Ce film fait également penser à un autre film, Demolition Man, où il y a aussi cet ancien monde violent et où ils créent un nouveau monde avec interdiction de rapports pour garder une certaine pureté, etc.

Quels sont les thèmes intéressants d’un point de vue biblique?

C’est un film qui est assez lisse, plutôt destiné aux adolescents. Pour autant, les thèmes sont vraiment intéressants et font réfléchir.

Ce film revient sur le sujet du totalitarisme où l’on est dans un régime qui nous prive de toute autonomie, qui décide de tout pour nous, jusqu’à ce que l’on doive penser. On perd toute liberté. C’est un thème intéressant car cela s’est déroulé dans l’Histoire avec le communisme ou le nazisme, que l’on a vécu au XXe siècle, avec des états qui voulaient même contrôler les pensées des gens et dire ce qu’ils devaient penser.

Cela rejoint non seulement une expérience mais aussi une angoisse qu’il y a chez nous où l’on pointe le risque d’un retour à ces régimes.

Dans ces dystopies, on retrouve le pendant de la surveillance de masse. Les membres de cette communauté sont surveillés par un groupe d’élites, les sages. Ils sont épiés, on entend tout ce qu’ils disent, on voit ce qu’ils font et celui qui s’écarte est rappelé à l’ordre. C’est un thème récurrent, la surveillance oppressive, et qui rejoint notre réalité. Ce régime est cathartique et se veut libérateur des pulsions et des traumatismes du passé pour amener vers un meilleur. C’est un prétexte pour effacer notre passé car notre liberté et notre histoire ne nous ont conduit qu’à faire des choses de pire en pire. On se prive de tout cela et personne ne connaît l’Histoire, tous sont contrôlés chimiquement en prenant des médicaments qui ont des régulateurs d’humeur. Ils ne connaissent pas l’amour, les passions. Tout est hyper lisse.

Cela amène un grand thème: le bonheur. Dans cette société, toutes les différences sont lissées car pour eux les différences amènent l’envie, la guerre. Ainsi sans différences, pas de conflits. C’est une philosophie très marxiste. Ils le contrôlent notamment par le climat car ils ne veulent pas de différences dans le temps, et surtout qu’il n’y ait pas d’imprévus. Ils veulent la place de Dieu, un contrôle absolu.

Dans le film, des injections d’une substance qui supprime les émotions sont administrées tous les matins. L’idée est que la neutralité apporte le bonheur. Sans émotions, on ne risque pas de tomber dans l’excès, dans la violence, le malheur. C’est aussi cela le fil rouge du film. Le héros va découvrir que sans émotions, on ne peut pas découvrir l’amour, la joie et tout ce qui fait la saveur de la vie.

Une phrase que le héros dit dans le film: « Si on n’a pas d’émotions, à quoi bon vivre? Quelque chose a disparu, ou plutôt on nous l’a volé. » Ce qui est fait de façon assez fine et qui rejoint notre discussion sur la grâce commune (voir MM #6), c’est à la fois cette vision pessimiste de l’être humain, en affirmant que si l’homme reste tel qu’il est cela va mal tourner car il fait toujours le mauvais choix, et une vision optimiste en voulant construire une utopie mais totalement artificielle. En réalité, il y a ces 2 visions qui s’entremêlent en nous. Si l’on veut extirper le mal, en le rendant incapable de vivre des émotions, on réduit notre humanité et on ne devient que l’ombre de nous-mêmes. Non seulement nous ne sommes plus humains mais on est obligé de vivre dans une réalité totalement artificielle, et finalement, on ne vit plus.

Il y a un point de contact et un point de contraste avec la Bible. Le point de contact, c’est l’idée que l’on a envie de réprimer ce qui en l’homme pourrait porter atteinte à la vie et au bonheur. Mais ici, on veut réprimer les émotions et on voit que cela ne marche pas. Il y a l’idée que quelque chose en nous est dysfonctionnel et c’est cela qu’il faut régler. C’est ce que découvre ce jeune, des choses extraordinaires comme l’amour, l’amitié, les émotions face à la nature, mais il découvre aussi par la mémoire les guerres, les atrocités, etc. Mais tout cela provient de la même source: notre cœur.

Un gros point de contraste, c’est la question: faut-il forcément du mal pour qu’il y ait du bien? C’est un raisonnement que l’on entend souvent. Est-ce qu’il faut du mal pour permettre de voir bien, du malheur pour nous permettre de goûter au bonheur? On peut faire le lien avec notre slogan: « parler du présent en prenant la fin comme point de départ. » Cette dimension eschatologique nous permet de répondre à ces questions par non. Il ne faut pas forcément du mal pour qu’il y ait du bien. C’est l’espérance eschatologique d’un monde sans péché et sans douleur qui nous permet de vivre la beauté, la bonté, la vérité, dans un monde dépourvu de malheur et on peut vraiment être heureux sans connaître le malheur.

C’est ce qui est triste dans le film. Ils ont fait une sorte de « sous-vie », une vie alternative qui est triste et morne car dénuée de tout ce qui rend la vie belle. Et leur solution est de retrouver ce qui a été perdu. Mais ce qui a été perdu, c’était déjà le monde tel qu’il ne doit pas être. La seule espérance, c’est de retrouver quelque chose qui est déjà cassé et source de malheur. C’est comme une prison métaphorique dont ils veulent sortir mais ils retombent dans le monde tel qu’il est depuis la chute.

Il y a ce point de contact fort que l’on retrouve dans les œuvres de C.S. Lewis, cette idée de vouloir rentrer à la maison, cette idée de retrouver ce monde dont on a le souvenir brumeux.

Il y a d’ailleurs une phrase que le Giver, celui qui donne les souvenirs au jeune, pourrait avoir emprunté à Lewis. Il parle d’une vie d’ombres, d’échos, de murmures distants, de ce qui a fait de nous des gens réels. Cela évoque chez nous les échos d’Eden, le monde perdu, le bonheur perdu et parfait que l’on va retrouver en Christ dans la gloire eschatologique. Mais ce n’est pas le monde parfait et perdu qu’ils veulent retrouver, mais le monde déchu. Même à la fin, s’ils arrivent à retourner à la maison, ils vont bien vite retrouver le malheur et c’est triste.

Un autre point de contact intéressant concerne un moment du film où la dirigeante de la société dit: « Du moment que l’on laisse à l’homme la liberté de choisir, il choisit le mal immanquablement. » Elle exclut la notion de la grâce commune car ce n’est pas la réalité des choses, mais elle pointe l’incapacité de l’homme à faire ce qu’il sait être bien. Cela rejoint un peu Rm 7, où dans notre état de pécheur on fait le mal que l’on ne voudrait pas faire et on n’arrive pas à faire le bien que l’on voudrait faire. Ce film montre l’homme qui se met à la place de Dieu et veut créer un monde qui rende l’homme incapable de faire le mal. Mais les limites qu’il pose font du mal et privent les hommes d’une vraie liberté, du bonheur, de vivre l’humanité telle qu’elle est réellement. Mais quand Dieu nous a créés, les règles de l’Eden étaient parfaites. Elles ne privaient l’homme de rien et Dieu a créé un cadre qui est parfait, et cela rend la chute d’autant plus dramatique. Quand ils disent que « le souvenir est la vérité », cela rejoint, par rapport à l’histoire, la vision biblique du monde. Lorsque l’on réfléchit dans ces films à la question du bien et du mal, on présente toujours cela de façon idéologique, abstraite, où l’on se demande ce qui fait que le bien est bien et que le mal est mal, mais on sait que la vérité est révélée par l’Histoire. Si l’on sait que le bien est bien, c’est parce que Dieu l’a révélé. Si l’on sait que le mal est un problème et que ce n’est pas quelque chose qui aurait dû être et que l’on aspire à autre chose, c’est parce que c’est Dieu qui nous a créés dans un monde qui était parfaitement bon, où il n’y avait pas de mal, et que l’on n’a pas fait cette expérience.

John Stott, dans l’introduction de son commentaire sur l’épître aux Éphésiens, explique le projet de Dieu dans Éphésiens qui veut créer en Christ un nouveau peuple, une nouvelle humanité, en évoquant l’utopie de Karl Marx qui voulait créer une nouvelle société dans un nouveau projet politique qui a échoué. Notre monde constate qu’il y a quelque chose qui ne va pas. L’homme cherche en lui-même par ses connaissances, ses progrès techniques, scientifiques, pour régler ses problèmes. Les films de science-fiction poussent ces raisonnements jusqu’au bout. Ce film montre qu’en poussant un tel raisonnement jusqu’au bout, on arrive à une impasse. Sans un Dieu aux manettes de l’histoire, il n’y a aucune espérance.

Alors que dans ce film, la solution est d’annihiler l’histoire, ce que fait Christ à la croix c’est offrir à l’homme la possibilité de se réconcilier avec Dieu de sa propre histoire. Il efface notre histoire passée et son histoire devient la nôtre. Et on a cette espérance de l’éternité quand il reviendra et on vivra quelque chose de mieux qu’Eden dans un état de gloire éternelle et c’est quelque chose que le monde ne connaît pas.

Ce genre de films un peu cathartiques se retrouve dans beaucoup de films: un autre exemple pourrait être Hunger Games qui reprend ces thématiques. Cela montre que l’on aspire à autre chose, que l’on essaye de trouver et que l’on tâtonne. Lewis disait que l’on se satisfait trop vite, que l’on se contente de jouer dans la boue alors qu’un weekend à la plage nous est offert.

Dans le film, 2 grandes forces s’affrontent: la force de l’oppression qui est plutôt fataliste ou pessimiste, qui ne pense l’homme capable que du mal et qui par l’oppression tente de contenir ce mal, et la force libératrice qui tente de redonner la saveur à la vie, et qui est plutôt optimiste.

Le problème c’est qu’il nous manque un point de vue réaliste. L’affranchissement et la libération dont il est question dans le film nous ramènent juste à une vie normale. La vie normale est déjà un écho d’un monde distant, elle n’est déjà que l’ombre de ce que l’on devrait vivre. Ce que le film propose, c’est juste de vivre la vie normale. Cela jette un regard intéressant sur des thèmes que l’on va aborder dans le livre de l’Ecclésiaste (voir MM #8) sur la question de la beauté, d’aimer la vie, de prendre plaisir dans ce que Dieu nous donne. Cela nous montre que parfois on oublie dans ces choses-là que même si le bonheur est relatif, il est réel. Un coucher de soleil, regarder la nature, danser avec ceux qu’on aime, ce n’est pas ce qui nous rend ultimement heureux mais cela nous rend vraiment heureux. Mais le problème ici c’est que ce n’est pas présenté comme le point de départ mais comme le point d’arrivée. On est dans une vision du monde matérialiste. Cela fait penser aux hérésies agnostiques qui prônent une vision dualiste où des choses sont bonnes et d’autres mauvaises. Dans The Giver, les émotions sont mauvaises.

Comment utiliser le film avec une portée apologétique?

Cela pourrait être pertinent d’aborder ce film avec un groupe de jeunes car le héros est un jeune adolescent: il a de l’espoir car il découvre beaucoup de choses et cela le rend crédible car c’est normal qu’il y croit. Celui qui est avant lui et qui lui transmet les connaissances n’est que cynisme. Les adolescents peuvent s’identifier au héros car il y a cette idée dans la jeunesse que l’on peut prendre notre destin en main, se revendiquer, s’affranchir et réussir là où d’autres ont échoué. Il y a toujours des points d’accroche et de rupture, et il est intéressant de s’attarder sur ces points.

Tim Keller, dans son livre Une Église centrée sur l’Évangile, parle d’entrer en dialogue avec la culture, d’analyser cette culture ambiante, de trouver les points de contact avec la vérité biblique, de montrer ensuite l’incohérence au sein de cette vision du monde, et de remplacer le mensonge et l’impasse de la vision du monde par la vérité de l’Évangile. C’est une grille que l’on peut utiliser. Trouver les points de contact, de contraste, montrer les incohérences et remplacer tout cela par la beauté de l’Évangile.

La plus grande portée apologétique c’est l’eschatologie. Le monde qu’ils promettent est le monde dans lequel on vit actuellement. Mais on sait que de la même manière que le bonheur n’est pas accessible en supprimant les émotions, le bonheur n’est pas accessible juste parce que l’on a des émotions. Nous qui sommes de l’autre côté de ce que vit cette communauté dans le film, on sait que cela ne nous satisfait pas. On a besoin d’une suppression, non pas des émotions, mais du mal. On a besoin d’un monde sans mal, sans péché.

La vraie beauté est donc la beauté de la vérité de l’Évangile où cette espérance eschatologique d’une nouvelle création débarrassée du péché sera la seule solution qui pourra nous satisfaire demain mais aussi aujourd’hui en sachant qu’un jour on sera affranchi du mal et qu’on vivra en paix les uns avec les autres, avec Dieu et que ce sera lui la source de notre joie.

Merci à Victor Hui pour son travail de synthèse.

Pour aller plus loin

Dans cet épisode on a parlé de:

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