Dans ce nouvel épisode de Memento Mori, Raph et Matt parlent du genre Polars.
Thématique
Dans cet épisode, Raph et Matt répondent aux questions suivantes:
- Pourquoi le genre des polars nous fascine-t-il?
- Quels sont les codes du genre?
- Quels sont les polars que tu aimes?
- Pourquoi entrent-ils en résonance avec nous?
- Que nous révèle notre fascination pour le genre?
Synthèse MM #5
Ce travail de synthèse est fait par un auditeur attentionné. Il ne retranscrit pas les propos exacts de l’épisode, mais vise à présenter le contenu.
Introduction
Nous aimons tous les deux énormément les polars. Le polar est une histoire qui tourne autour d’une intrigue policière (le mot « polar » étant l’argot de policier), avec des policiers, une énigme, un vol, un meurtre… et on suit une enquête. Le polar peut s’incruster dans plein de genres différents: dans de la science-fiction, dans des films historiques, etc. Le plus connu des polars est la série des Sherlock Holmes. Les anglophones parlent de « crime-films ». L’énigme ou le crime n’est pas toujours résolu par un policier, mais ça peut être un journaliste, un des personnages victime d’une disparition ou du meurtre d’un de ses proches, etc.
Quels sont les polars que tu aimes?
Il existe plein de sous-genres aux polars, comme les films de mafia, des yakuzas ou bien les westerns. Certains westerns, comme Impitoyable avec Clint Eastwood, sont très bons. Cela montre une facette du monde déchu, de notre soif de justice. Ce film contraste avec les westerns spaghetti où tout était assez binaire, en apportant des nuances qui reflètent beaucoup plus notre monde.
En termes de série, celle de New-York Unité Spéciale, très connue, est un classique. Il n’y a que l’intrigue qui est jouée dans ces séries. On ne connaît que très peu la vie des policiers, des enquêteurs. Les acteurs sont vraiment au service de l’intrigue et de ce qu’elle sous-tend.
Pourquoi le genre des polars nous fascine-t-il?
Dans notre réalité, rien de pire ne pourrait nous arriver qu’un crime, dans notre famille par exemple. Et pourtant on passe notre temps à regarder des crimes à la télé. On est dans une société où la mort est loin, et on y est peu confronté au quotidien. Pourtant dans les médias, elle est omniprésente, en particulier dans les faits divers. Un des ressorts des polars est de faire sens dans le monde dans lequel on vit et face à des choses qui nous semblent sordides, sans espoir, qui nous mettent face à toute la misère humaine, l’horreur du péché et ses conséquences. Les films policiers s’efforcent de résoudre la tension qui existe entre cette réalité-là et notre soif de justice, de comprendre le monde et de régler le péché et ce qui mène à la mort. Il s’agit de replacer dans un système qui va contenir les criminels, dans une justice qui marche souvent mieux dans les films que dans la réalité, avec des délais moins grands, avec moins d’incertitudes, etc. On voudrait une justice qui rétribue, qui punit les méchants et qui nous aide à faire sens dans le monde dans lequel on vit.
Que nous révèle notre fascination pour le genre?
Il y a un paradoxe: le mal nous fascine. Par exemple lorsqu’il y a un accident sur l’autoroute, les gens ralentissent pour essayer de voir la scène. Il y a un mal inscrit en nous et il y a quelque chose qui nous séduit et nous attire, et on est mal à l’aise avec cela. D’un autre côté, on aspire à voir le mal éliminé, à voir le bien triompher du mal. Si on produit autant de choses qui tournent autour d’atrocités, de crimes, c’est un peu psychanalytique. L’homme se met en spectateur de ce qu’il est, et cherche à comprendre et expliquer le mal, et trouver des solutions. Avec les polars, on n’a pas d’approche philosophique, c’est toujours incarné dans une certaine réalité.
La force du genre des films policiers est de montrer le monde tel qu’il est, un monde qui porte la trace d’une création bonne, où règne la grâce commune de Dieu, dans lequel le péché a tout défiguré, et la tension entre ce qui est là et ce à quoi on aspire. D’autres films particulièrement noirs nous montrent le monde tel qu’il ne devrait pas être. Ce n’est pas le monde tel qu’il est parce qu’il n’y a pas de traces d’espoir, de traces d’un renouvellement, d’une restauration. Les films les plus noirs nous fascinent mais nous dépriment parce qu’il n’y pas d’issue. Le meurtrier n’est pas découvert, la victime n’est pas prise en charge… Alors que même quand le système judiciaire n’est pas parfait, il y a au moins l’idée que l’on veut punir le mal, que l’on dit ‘ce n’est pas bien, ce n’est pas normal’, et il y a alors des points de contact avec la vision biblique du monde.
On est dans des antagonismes où il y a d’un côté des énigmes, le mensonge, ce qui est caché, et de l’autre côté la quête de la vérité. On cherche tous la vérité et on veut être sûr que l’on a raison. Un des auteurs de ces romans noirs est Jean-Christophe Granger. Il est vraiment obsédé par la question du mal. Il est tellement noir que même si à la fin il y a une résolution de l’énigme, on n’en retire aucune joie car cela n’apporte aucune espérance. Il montre que le mal n’a aucun sens. Et même si on comprend comment, on ne pourra jamais comprendre pourquoi parce que c’est insensé. Dans la série New-York, il y a la question du « pourquoi? » mais aucune réponse n’est satisfaisante car aucune n’évoque le péché. Finalement, on cherche à excuser le mal. Ou bien à dire que celui qui est une personnification du mal n’est pas bon, qu’il est mal et ne peut être que cela.
Un autre élément est que très souvent le héros doit se sacrifier. Il y a une dimension du sacrifice pour le bien. Rares sont les films où l’on voit l’enquêteur résoudre un crime sans qu’il n’y ait d’impact pour lui. Il en paye toujours le prix. Il est soit rejeté par sa famille, soit il sombre dans l’alcool, dans la dépression, etc. Il y a quelque chose de christique. Pour détruire le monde, cela demande de se sacrifier.
D’un autre côté, il y a quelque chose de l’ordre de la substitution à Dieu. Les films de vengeance notamment cristallisent cette idée que la justice doit non seulement être faite mais elle doit être faite par celui qui a subi le tort. Et on est à l’antithèse de Christ et du sacrifice. Celui qui avait toutes les raisons de nous faire mourir est mort à notre place. Mais dans les films policiers, il y a l’idée que « la vengeance nous appartient » et que la satisfaction et l’ordre reviendront lorsque la « balance » de la justice sera rétablie. C’est « œil pour œil, dent pour dent », tuer celui qui a tué ma femme, mon fils, mon ami, ou bien l’escalade comme dans les films de mafia. Il y a cette idée que la justice doit être faite maintenant et ici. On s’éloigne du temps de la grâce et du pardon. On ne veut pas oublier qu’en désobéissant à la loi on le paye par rapport à la loi, on veut affirmer cela avec force, mais on veut aussi maintenir la possibilité du pardon de Dieu et que finalement la rétribution ne viendra pas du système judiciaire terrestre mais de Dieu qui jugera parfaitement selon les cœurs.
Il y a toujours cette idée de compréhension de la rédemption selon laquelle le bien que l’on fait annule le mal que l’on a fait. Le bien annulerait le mal alors que d’un point de vue de la justice de Dieu, ce n’est pas du tout le cas; et même pour nous: si l’on a commis un délit, ce n’est pas par nos dons aux œuvres associatives que l’on peut annuler notre condamnation.
A Dieu appartient la justice, le fait ultime d’exercer la justice et de condamner le coupable. Et l’homme s’y substitue souvent parce qu’il n’y a pas cette idée qu’un jour, justice sera rendue. La vengeance devient alors obligatoire sinon on reste dans une injustice éternelle. Mais pour nous c’est un soulagement car même dans la réalité, si des gens passent à côté de la justice humaine, ils ne passeront jamais à côté de la justice divine.
Il y a plein d’échos avec l’histoire de la rédemption avec des points de contact et de divergence. Et en tant que chrétien, ces films peuvent nourrir notre réflexion sur les notions de justice, de bien et de mal, de faire attention à la dualité des choses, qu’il y en a qui sont que bons et d’autres que mauvais alors qu’on est tous un mélange des deux. Cela montre aussi cette quête humaine de la justice, de la vérité. S’il y a une justice, une police, c’est qu’au final on est d’accord sur le fait que le mal est une anomalie et que l’on ne peut vivre dans une société où l’on laisse libre cours à la vengeance. Il faut qu’il y ait quelque chose qui soit régulé, et on sait qu’ultimement c’est Dieu qui le fait.
Dans le livre d’Exode, on voit la volonté de Dieu de vouloir une société dans laquelle s’exerce une justice qui fait écho à la sienne. Dans un prochain épisode, on va parler de la grâce commune. Il y a une notion de justice dans la grâce commune de Dieu qui permet l’exercice de la justice en restreignant l’étendue du péché et qui permet de vivre dans une société qui n’est pas seulement soumise à la loi du plus fort.
Le sentiment de justice nous fait écho parce qu’il faut que le mal soit puni. On ne supporte pas qu’un mal soit impuni. Certains sujets auront plus de poids que d’autres selon les sensibilités de chacun. Il y a un écho prophétique. Les prophètes de l’Ancien Testament étaient des porte-paroles de la justice divine. On a une dimension de la justice qui est extrêmement forte. Les chrétiens devraient être ceux qui militent contre l’injustice mais qui devraient aussi se rappeler que la justice parfaite n’existe qu’en Dieu.
Le premier polar apparaît après la chute lorsque Caïn tue Abel. Et l’enquêteur c’est Dieu. Finalement, Dieu est le justicier ultime qui peut vraiment rétablir la justice, éliminer le mal définitivement, contrairement aux séries où l’on a l’impression que le travail des enquêteurs est sans fin.
Merci à Victor Hui pour son travail de synthèse.
Pour aller plus loin
Dans cet épisode on a parlé de: