J’ai découvert récemment que Laurent de la Rébellution avait posté sur Facebook son avis sur l’ouvrage de Matthieu Richelle: Comprendre Genèse 1-11 aujourd’hui, Édifac 2013. Comme c’est le premier volume d’une collection importante et que certaines des positions de l’auteur sont étonnantes, j’ai demandé à Laurent s’il souhaiterait développer sa lecture dans une recension. La suite de cet article est donc sa recension de Comprendre Genèse 1 à 11 aujourd’hui.
Pour être clair, j’écris (moi Laurent) cette recension en tant que tenant de l’interprétation analogique des jours de Genèse 1 (cf. Vern Poythress, C. John Collins, lire Redeeming Science), d’un Adam et d’une Chute historiques, de l’origine commune de l’humanité entière en Adam, de l’infaillibilité de la Bible et de l’historicité de Genèse (vrais personnages, vrais événements, récits chronologiques…) dans son entièreté. Pour moi ce qu’il est essentiel pour un chrétien d’affirmer, c’est l’historicité d’Adam, mais pas seulement: aussi son statut d’ancêtre de toute l’humanité. Sans cela, la doctrine du péché originel tombe à l’eau, et avec, l’Évangile, qui en est le remède. Je développe ce point plus loin.
Cependant je suis indécis sur l’âge de la Terre et sur la mort animale avant la Chute.
Sur l’âge de la Terre, parce que je suis au moins sûr que la Bible ne semble pas se prononcer sur ce sujet. En effet, je vois les jours de Genèse 1 comme étant analogiques (des “jours de Dieu” dont on ne peut connaître la durée, ––autant que celui du 7e— jour et non des jours de 24 h). Ce serait donc à la science (la géologie, la physique et la chimie) de trancher. Domaines que je n’ai pas encore pris le temps d’étudier.
Sur la mort animale, je reste en faveur de son absence avant la Chute à cause des passages où des animaux féroces cohabitent avec des animaux gentils (loup/agneau, bœuf) qui semblent indiquer que la mort des animaux est anormale (Es 11.6-8, 65.25). Même si les évolutionnistes proposent des interprétations qui ne sont pas farfelues en elles-mêmes, je pense que pour trancher, il faudrait étudier ces passages dans le contexte global d’Ésaïe. Ce qui requiert d’étudier Ésaïe en entier, ce que je n’ai pas encore eu le temps de faire. L’argument le plus puissant à mon sens, c’est que les Israélites devenaient impurs dès qu’ils touchaient le cadavre d’un animal, que ce dernier soit pur ou impur. Cela semble impliquer que la mort animale est une anomalie.
Richelle se montre un guide particulièrement précieux dans ses remarques sur la structure de chaque texte de Genèse 1 à 11. Ses remarques sont énoncées clairement, et pas redondantes à lire (c’est-à-dire qu’elles ne sont pas balancées maladroitement les unes après les autres). Quand je parle de structure de texte, je pense aux répétitions, aux chiasmes, aux jeux de mots, à la signification symbolique des nombres, aux marqueurs d’intertextualité, (citations explicites ou allusions implicites à des épisodes passés ou développés plus tard dans la suite de la Bible), etc.
Repérer ces éléments de structure est crucial; en effet, ces éléments permettent de mettre en lumière le message principal que l’auteur de Genèse voulait communiquer. Bien que l’on n’accepte pas toutes les conclusions de Richelle, parfois dangereuses, on peut tirer profit de ses observations sur la structure. Cependant, si c’est le cas, à nous de proposer une alternative claire qui n’ignore pas la structure du texte.
En tant qu’historien, Richelle est un expert hautement qualifié pour traiter de la littérature extra-biblique, c’est-à-dire les écrits contemporains de la Bible rédigés pendant l’Antiquité au Proche-Orient ancien. Cela inclut des œuvres sumériennes, babyloniennes, assyriennes et égyptiennes. Ainsi, Richelle repère des points communs intéressants aussi bien que des divergences. Les références à la littérature extra-biblique sont très nombreuses, ce qui fait la force de ce commentaire. Il les présente de manière concise sans entrer dans les détails, ce qui ne perd pas le lecteur.
Mais, comme nous le verrons, ce sont les conclusions radicales qu’en tire Richelle auxquelles il faut faire attention. Richelle adopte un présupposé, que nous pensons faux, qui influence grandement toute sa méthode d’interprétation, assez spéculative. Il laisse trop la littérature extra-biblique influencer son exégèse.
Richelle comprend bien que Genèse s’intéresse ultimement au Messie promis: Jésus. Ce qui le pousse à toujours faire le lien entre les événements de Genèse avec ceux du Nouveau Testament. C’est ce qu’on appelle la typologie. Par exemple, le Déluge ressemble au Jugement dernier.
Il s’ensuit que l’histoire des origines (Genèse 1 à 11) n’est pas un récit purement informatif ou une curiosité intellectuelle. Mais elle raconte comment Dieu agit pour accomplir sa promesse de rédemption faite à Adam et Ève juste après la Chute (Genèse 3.15). C’est-à-dire, la venue de la “descendance de la femme (Jésus)” qui écrasera la tête (vaincra) du serpent (Satan).
Toutes les généalogies rapportées dans la Bible suivent, tel un étau qui se resserre, le chemin qui part de l’humanité, qui passe par Sem, Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Juda, le roi David et qui aboutit à la naissance du Christ. Les chrétiens ont souvent tendance à voir les généalogies comme des parenthèses au milieu des récits. Mais c’est tout le contraire ! Ce sont les récits qui font office de parenthèses aux généalogies. Bien sûr, ces récits peuvent être plus ou moins longs: le récit de Noé et du Déluge est bien plus long que celui de Caïn et Abel. Ce principe vaut non seulement pour Genèse mais aussi pour d’autres livres comme 1 Rois, 2 Rois, 1 Chroniques, 2 Chroniques.
On trouve systématiquement à la fin de chaque partie une liste d’applications pratiques pour tous les croyants et aussi des conseils pour les prédicateurs. Par exemple, Genèse 1, en présentant l’idée même de la création, remet en question de nombreuses idéologies (le matérialisme, le polythéisme, le dualisme). Ce chapitre nous montre que “le monde est ordonné et résulte d’un projet” et donc que la vie a un sens; il nous rappelle que nous ne sommes que des créatures appelées à adorer notre Créateur et que nous sommes créés à l’image de Dieu; nous avons donc de la valeur. Autre exemple, Genèse 5: ce chapitre met en exergue l’anomalie de la mort et la grâce de la vie. Il montre qu’il est possible de vivre en communion avec Dieu, même dans un monde déchu. À travers la généalogie, on voit que Dieu est sage et qu’il fait avancer son plan parfait.
Dans la partie sur la femme de Caïn, Richelle reste agnostique sur une origine de l’humanité en Adam; il penche même vers l’existence de plusieurs hommes. Par conséquent, selon cette position, Adam n’est plus l’ancêtre de toute l’humanité. Certes, Richelle reconnaît l’historicité d’Adam et même son rôle de tête fédérale, de représentant légal de l’humanité. Mais affirmer cela en niant son rôle de progéniteur de tous les hommes n’est pas suffisant. C’est même dangereux. En effet, cela remet en question le péché originel, une doctrine fondamentale du christianisme qui explique pourquoi l’homme est pécheur et a donc besoin d’être sauvé par la grâce de Dieu.
Croire en une origine commune de l’humanité en Adam est crucial. En effet, d’après la Bible, chaque homme hérite de deux choses d’Adam.
Premièrement, tout homme hérite d’une culpabilité légale. On peut la désigner par l’expression “culpabilité originelle”. C’est celle d’Adam, car il était notre représentant légal devant Dieu quand il a péché contre lui. C’est ce que reconnaît Richelle.
Deuxièmement, chacun reçoit aussi une corruption de la nature humaine. Formellement, on peut parler de “corruption originelle”. C’est cette espèce de déformation morale qui nous pousse naturellement à sans cesse faire le mal, en pensées et en actes. Cette corruption se transmet par la naissance (d’après Ps 51.7, Jb 14.1-4, 15.14-15). Le fait que Jésus soit obligé de ne pas naître normalement de deux parents humains appuie cette idée: la nature humaine, transmise de génération en génération, est polluée depuis l’origine. La doctrine du péché originel est très bien expliquée ici par Pascal Denault. Je le remercie beaucoup de m’avoir éclairé sur le sujet!
Il est donc capital, d’après la Parole, de croire que nous descendons tous d’Adam, pour expliquer d’où vient notre nature pécheresse (la corruption originelle). Pour résumer, le rôle de représentant d’Adam suffit pour expliquer notre culpabilité originelle mais pas notre corruption originelle.
Je conçois que je ne fais que balancer des versets (malgré tout assez explicites) sans donner des arguments philosophiques; ils seraient utiles pour mieux comprendre comment le péché originel se transmet par la naissance. Bien sûr, on peut accepter cette doctrine uniquement par la foi parce que Dieu, digne d’être cru, nous l’a révélée. Mais ce serait intéressant de détailler cette doctrine dans une démarche philosophique, pour montrer qu’une transmission du péché originel par la naissance n’est pas absurde (et donc contraire à la raison).
J’ai vraiment l’impression que l’historicité d’Adam a été largement défendue en long, en large et en travers (par exemple sur Le Bon Combat). Cependant, la thèse assez populaire chez les évangéliques —un Adam historique représentant mais pas ancêtre de toute l’humanité— n’a pas vraiment été réfutée.
J’espère donc par la suite écrire une série d’articles (sur Parlafoi.fr) présentant l’exégèse des passages que je cite ainsi que des arguments philosophiques basés sur la compréhension thomiste (partagé par les premiers Protestants, les Réformés scolastiques en particulier) de ce qu’est l’homme. Selon les thomistes, l’homme est une unique substance formée par l’union d’une âme et d’un corps. Ce qui est très différent du dualisme de Descartes ou du dualisme des propriétés, auxquels je soupçonne la majorité des philosophes et théologiens modernes d’adhérer. Cette position sépare l’âme et le corps en deux substances différentes: l’homme n’étant réellement que son âme, le corps serait donc comme un conteneur étranger, un moyen de transport (comme un train, une voiture…) contenant l’âme. Il serait utile d’étudier comment cette conception moderne de l’homme a influencé la compréhension du péché originel.
J’insiste énormément sur ce point car il me semble que, malheureusement, beaucoup de frères et sœurs acceptent cette interprétation sans être conscients de ses conséquences dramatiques sur l’Évangile. Sans origine commune de l’humanité en Adam, pas de corruption originelle. Sans corruption originelle, pas de péché originel. Sans péché originel, en théorie, pas de besoin de l’Évangile et de Jésus.
La méthodologie dangereuse de Richelle consiste à supposer que Genèse 1–11 est largement influencé par la littérature extra-biblique de l’époque. Ces écrits ne sont pas, selon lui, des récits qui relateraient des faits historiques exacts mais des poèmes qui renvoient à des faits historiques, sans savoir précisément comment ils se sont déroulés. Par conséquent, Genèse 1–11 serait rangé dans le même genre littéraire que ces derniers.
Comme je l’ai écrit plus haut, acceptons allègrement ses remarques sur les points communs avec la littérature extra-biblique. Mais examinons sagement s’ils nous obligent à reconsidérer Genèse comme une œuvre littéraire, qui serait évasive sur les faits historiques qu’elle raconte.
Cette méthodologie pousse naturellement Richelle à s’écarter de la tradition chrétienne (un consensus inter-dénominationnel de 2000 ans —ou 3000 ans si l’on compte les Juifs !) sur des sujets assez conséquents. Ainsi, il pense que le Déluge était local (en Mésopotamie) au lieu de global. Voir une bonne réponse sur Le Bon Combat. De même, il interprète Genèse 1 et 2 comme un texte littéraire et purement symbolique (pas d’ordre chronologique). Il traite les âges de la généalogie de Genèse 5 comme un code non historique, ou au moins purement symboliques. (Il faudrait selon Richelle une formule mathématique pour retrouver les vrais âges associés.)
Voici quelques éléments de réponse à la méthodologie de Richelle :
Premièrement, une structure littéraire élaborée n’est pas incompatible avec une historicité exacte. Voir par exemple le livre de Jonas où se trouvent énormément de chiasmes. “En bref, tout écrivain habile est capable d’élaborer une composition littéraire en racontant des événements historiques.” (Peter Williams).
Deuxièmement, l’ensemble de Genèse est un tout unifié par une succession d’histoires (toledoth) qui tournent autour de la descendance de certaines personnes (Abraham, Isaac, Jacob). Un tout dont on peut difficilement séparer une partie des autres en disant qu’elle est littéraire et les autres historiques. Et cela sachant que la suite (les récits portant sur les patriarches : Abraham, Isaac, Jacob) est clairement historique! Pourquoi la partie précédente le serait moins? Comment distinguer ce qui est historique de ce qui ne l’est pas? On arrive au final dans une méthode assez arbitraire et subjective.
Richelle a raison de noter les nombreux points communs entre la Bible et les écrits contemporains. Par exemple ceux entre la généalogie de Genèse 5 et la Liste royale sumérienne. C’est justement pour expliquer ces ressemblances qu’il propose l’hypothèse selon laquelle l’histoire primitive narrée dans Genèse est un écrit qui a repris le même genre que celui des écrits extra-bibliques.
Mais ce n’est pas la seule manière d’expliquer ces ressemblances. Il est tout aussi possible que Genèse et les récits païens soient issus d’une même tradition (orale et/ou écrite). Selon cette alternative, contrairement à Genèse qui aurait conservé une version parfaite de cette tradition, les autres récits l’auraient déformée. Cette explication rendrait également compte de l’existence de récits proches de Genèse 1–11 dans le monde entier.
Richelle a le mérite d’interagir avec cette position, mais il la rejette. Les supposés points communs seraient insuffisants et trop vagues. Il se pourrait juste qu’un récit provenant d’un seul peuple se soit propagé à tous les autres par le biais d’échanges commerciaux, diplomatiques ou de conquêtes militaires, par exemple. Ce serait un peu comme le manga Naruto: il vient du Japon et s’est répandu dans le monde entier, bien que toutes les nations n’aient pas écrit Naruto!
Personnellement, je trouve l’hypothèse de Richelle assez forcée: On ne trouve pas seulement des ressemblances superficielles dans les histoires. Comment expliquer qu’on retrouve des éléments très précis de la Chute et du Déluge même dans de très vieux caractères chinois (tentation, fruit, diable, femme, bateau, 8 êtres humains)? La chaîne youtube Archeodoxa a publié des vidéos (là et là) qui montrent que les points communs entre les mythes sont trop conséquents pour nier qu’ils proviennent tous d’une source commune.
Comprendre Genèse 1 à 11 aujourd’hui est un bon commentaire de Genèse 1–11, très accessible sur la forme, l’intertextualité, les applications pratiques et le lien avec Christ. Mais il est dangereux dans sa méthode (trop influencée par la littérature extra-biblique, dé-historicisation) et dans certaines conclusions (Adam n’est pas ancêtre de toute l’humanité => remise en question du péché originel => remise en question de l’Évangile).
La personne qui veut étudier Genèse sérieusement sera forcément un jour obligée de le consulter. Richelle est vraiment LE spécialiste français sur la structure littéraire et sur la littérature extra-biblique. Il est aussi le seul qui propose beaucoup d’applications pratiques avec une lecture christocentrique tout à fait correcte. À la fin, on trouve même des conseils pour trouver Christ dans l’Ancien Testament!
Je ne le conseillerais pas autant si plus tard venait à paraître un commentaire conservateur, quand même pertinent sur la forme du texte et les écrits extra-bibliques (en anglais, par exemple Wenham). On trouvera quand même beaucoup de remarques sur la structure littéraire et sur les écrits extra-bibliques chez Ron Bergey, alors qu’il est conservateur sur l’historicité de Genèse et le péché originel.
On pourra consulter des bons commentaires “conservateurs” comme ceux de Gordon Wenham, Ron Bergey, Jean Calvin, Matthew Poole et Matthew Henry. En particulier, Calvin, Poole et Henry regorgent d’applications pratiques (comme à peu près tous les anciens commentateurs)! Sinon Meredith Kline (un résumé gratuit ici), assez technique, est excellent, même s’il partage l’interprétation littéraire de Richelle des jours de la création. En fait, il ne se repose pas du tout sur les parallèles extra-bibliques; il reste conservateur. Il prend beaucoup en compte la littérature extra-biblique et parle tout le temps de Christ! Sur les 3 premiers chapitres, et même sur la science, il faut consommer du Vern Poythress sans modération, gratuit en ligne en plus (Interpreting Eden et Redeeming science) !