Daniel Timmer, mon collègue à la Faculté de Théologie Évangélique (située à Montréal), est l’auteur d’un excellent ouvrage sur Jonas, paru dans la collection New Studies in Biblical Theology, dirigée par Donald Carson.
Le titre: A Gracious and Compassionate God. Mission, Salvation and Spirituality in the Book of Jonah (traduction libre: Un Dieu plein de grâce et de compassion. La mission, le salut et la spiritualité dans le livre de Jonas). Dans les milieux académiques, Daniel est une véritable référence sur la littérature prophétique (comme en témoignent ses publications dans des revues et des collections prestigieuses, comme celle-ci).
Dans la préface, Carson écrit (p. 7):
Le volume de Daniel Timmer est exceptionnel: il reflète une étude minutieuse de la prophétie de Jonas tout en mettant en avant des liens canoniques légitimes autour de ce que l’on appellerait aujourd’hui la mission de Dieu. Le professeur Timmer mène une réflexion claire et succincte, donnant vie à quantité d’éléments bibliques et théologiques. Un livre à chérir.
L’objectif de cette interview est de faire profiter les lecteurs francophones de quelques-unes des nombreuses perles distillées tout au long de cet ouvrage et, ultimement, de donner envie à chacun d’étudier en profondeur la prophétie de Jonas et les prophètes de l’Ancien Testament en général. Pour celles et ceux qui lisent l’anglais, je ne peux que vivement recommander la lecture intégrale du livre. Pour les autres, qu’ils soient patients, Daniel travaille actuellement sur un commentaire biblique en français! J’aurai sûrement l’occasion d’y revenir.
Principalement les « problèmes » que ce livre me posait! Non pas au sens péjoratif du terme, bien entendu, mais par rapport à la difficulté suivante: comment concilier les enseignements pratiquement uniques du livre de Jonas avec ce qu’affirme le reste de la Bible sur la mission et le rôle joué par Israël pour faire connaître Dieu parmi les nations?
Bien que la plupart des livres prophétiques de l’Ancien Testament prédisent régulièrement la conversion de non-Israélites dans un avenir éloigné, ceci reste un phénomène presque exclusivement à venir. Il y a bien, à travers l’histoire d’Israël, quelques situations dans lesquelles le peuple transmet la connaissance de Dieu, de manière délibérée ou non, de sorte qu’un non-Israélite devient adorateur de Yaweh (Naaman, en 2 Rois 5), allant parfois jusqu’à se joindre à la nation israélite (Rahab, en Josué 2; Ruth).
Néanmoins, le livre de Jonas ressort parmi ces quelques exemples, dans la mesure où la mission de Jonas est explicitement ordonnée par Dieu, et également parce que le livre inscrit en tant qu’événements historiques la conversion d’un certain nombre de matelots non israélites et la repentance de Ninive, une ville importante de l’empire assyrien, qui était connu pour son extrême puissance et son incroyable brutalité.
À la lumière de ces quelques éléments, nous pouvons affirmer que le livre de Jonas présente une vision de la relation entre Israël et les nations qui se veut cohérente, dynamique (sur le plan historique) et polyvalente. Disons-le plus simplement: le livre de Jonas nous montre comment Dieu accomplit sa promesse selon laquelle Abraham et ses descendants seront une bénédiction pour le monde entier.
La question est bien formulée puisqu’elle fait écho à un verset clé du livre (Jo 4.2). De façon ironique, le prophète Jonas trouve problématique que Dieu soit plein de grâce et de compassion Pourtant, à ses yeux, le fait que le Dieu de grâce lui porte secours à lui personnellement n’est pas du tout un problème, même s’il reconnaît mériter de mourir pour avoir désobéi à Dieu (Jo 1.1-17)! Ainsi, le chant de louange prononcé par Jonas au chapitre 2 constitue une méditation sur la manière dont Dieu a exaucé sa prière pour la délivrance, en plus de donner l’occasion au prophète de s’engager à offrir un sacrifice et à accomplir ses vœux envers Dieu.
Mais lorsque Dieu démontre sa compassion envers Ninive en ne la détruisant pas, à la suite de sa repentance (Jonas 3.10), Jonas est si troublé sur le plan théologique qu’il ne peut pas (et ne veut pas) voir les choses comme Dieu les voit.
Il est utile, à ce stade, de rappeler que l’empire néo-assyrien était notoire pour son traitement brutal des populations qui refusaient de devenir les vassaux de l’empire. Les œuvres d’art, les registres officiels et les outils de propagande de l’empire avaient abondamment recours à la violence explicite, qui s’inscrivait dans une stratégie politique visant à élargir et à affermir l’empire. La colère de Jonas au sujet de la compassion de Dieu envers Ninive n’est donc pas seulement due à sa conviction que la relation de Dieu à Israël conférait au peuple un statut particulier (ce qui était effectivement le cas). Une telle colère reflète en outre la croyance (justifiée) que l’Assyrie était coupable de maintes offenses.
Il n’en demeure pas moins que la réaction de Jonas traduit une fausse conception de ce qu’est véritablement la compassion divine. C’est en Exode 34 que Dieu est décrit pour la première fois comme étant « plein de grâce et de compassion », au moment où, à la faveur de l’intercession de Moïse, Dieu décide – dans sa grâce – de ne pas détruire la presque totalité d’Israël, qui vient de l’oublier et d’adorer d’autres dieux (à travers le culte du veau d’or, rien de moins). En réalité, le prophète Jonas semble avoir oublié que la grâce et la compassion de Dieu sont imméritées. La compassion de Dieu est inévitablement une grâce, puisque personne ne la mérite. Le livre de Jonas souligne ceci en appliquant, pour la première fois dans l’Ancien Testament, la description du caractère de Dieu qui se trouve dans le livre d’Exode (où l’Israël coupable est préservé de la destruction) à la manière dont Dieu se comporte avec des non-Israélites (les Ninivites coupables, qui sont sans doute ici les représentants de l’empire dans son ensemble).
L’élément missionnaire, comme j’ai commencé à l’expliquer précédemment, se résume par la tentative d’inscrire la mission « centrifuge » (tournée vers l’extérieur) de Jonas dans une théologie cohérente de la mission (en particulier au sein de l’Ancien Testament, où le rôle d’Israël est de coutume « centripète » ou tourné vers l’intérieur, c’est-à-dire qu’Israël cherche habituellement à attirer les autres vers lui sans aller vers eux).
La question du salut est incontournable, car le lecteur se pose forcément les questions suivantes: les Ninivites ont-ils vraiment trouvé le salut? Qu’en est-il des matelots?
La notion de spiritualité, que je définirais comme une expérience humaine de Dieu qui est à la fois biblique et centrée sur Dieu, est d’ailleurs intimement liée à ces questions du lecteur, de sorte qu’il vaut mieux mettre en relation salut et spiritualité. Parmi les enjeux soulevés dans cette discussion figurent le rôle du Saint-Esprit parmi les croyants de l’Ancien Testament (je pense ici aux matelots, voir Jo 1.14,16), le rapport entre le renouvellement spirituel de l’individu et le thème de l’union avec Christ dans le Nouveau Testament, et ainsi de suite… J’ai recours à ce que l’on appelle parfois « l’éthique du caractère », que je transpose à ces différentes périodes de l’histoire de la rédemption pour rendre la discussion cohérente.
J’aime répondre à cette question en évoquant certains thèmes. Évidemment, la mission est importante, mais elle se décompose en plusieurs thèmes sous-jacents: tout d’abord la grâce de Dieu, puis la relation entre Israël et les non-Israélites, la repentance et les autres facettes de la spiritualité, et ainsi de suite… Concernant l’histoire de la rédemption, le lien le plus fort entre Jonas et le reste du canon semble être la valorisation de l’accomplissement de l’alliance avec Abraham (Genèse 12 et 17).
Il s’agit de la relation étroite entre le caractère de Dieu et sa mission (ainsi que la mission d’Israël dans l’Ancien Testament, puis celle de l’Église dans le Nouveau Testament). Beaucoup ont réfléchi au caractère de Dieu, à commencer par les auteurs de l’Ancien Testament (ces réflexions se poursuivent jusqu’à aujourd’hui). Néanmoins, on ne peut que s’émerveiller devant le fait que Dieu a décidé de « poursuivre », de renouveler et de sauver d’innombrables personnes, toutes coupables et dépourvues d’espérance. Essayer de comprendre l’étendue de sa compassion à notre endroit, puis tenter de refléter ne serait-ce qu’une petite partie de ce caractère tel qu’il nous est révélé en Jésus-Christ, est une entreprise impossible si Dieu lui-même n’est pas à l’œuvre en nous, renouvelant notre intelligence et notre volonté. Heureusement, il est actif précisément dans ces domaines, de sorte que nous avons l’immense privilège d’imiter Dieu lui-même, croissant toujours plus à sa ressemblance dans l’union avec son Fils. Tout cela nous amène également à avoir de plus en plus à cœur la gloire de Dieu et le salut des perdus, et à nous approcher toujours plus de son caractère plein de grâce et de compassion, à sa gloire. Voilà en tout cas ce à quoi j’aspire, et c’est l’affaire de toute une vie!
Le plus simple est sans doute de commencer par le prophète Jonas, puisque nous sommes bien plus familiers des récits narratifs que des livres de prophétie ancienne. Il est également sage d’aborder en premier les livres les plus courts, pour des raisons pratiques évidentes. Les douze petits prophètes sont donc une bonne entrée en matière, tout en étant suffisamment riches pour nous permettre de progresser de manière graduelle, une étape à la fois. Ésaïe, Jérémie et Ézéchiel sont bien plus longs, mais les lecteurs familiers des petits prophètes seront déjà à l’aise avec certains traits caractéristiques des grands prophètes, comme leur genre littéraire particulier et leur propension à proposer des aller-retour entre la situation présente à laquelle fait face l’auteur et l’annonce de l’œuvre future de rédemption divine.
Autre conseil: une lecture juste des prophètes exige que l’on perçoive l’accomplissement de leur message, de maintes façons, en la personne et l’œuvre de Jésus-Christ, qui culminera lors de son retour (Lc 24.1-53; Ro 1.1-4; Hé 1.1-14). Plus facile à dire qu’à faire, certes! Le Dictionnaire de théologie biblique (Excelsis, 2006) vaut son pesant d’or précisément parce qu’il explique avec clarté les multiples manières dont les thèmes bibliques trouvent leur accomplissement en Jésus-Christ.
Non seulement la prédication christocentrique des prophètes fait partie intégrante de notre responsabilité de proclamer tout le conseil de Dieu, mais elle offre également au prédicateur l’occasion de mettre en avant les richesses de la théologie biblique. Cette dernière oriente vers la personne et l’œuvre de Christ, et vers des pistes concrètes d’application qui découlent de l’Évangile. Qu’ils s’adressent à Israël ou aux nations environnantes, les prophètes traitent de questions qui sont au cœur de l’Évangile, comme le péché, la justice et la compassion de Dieu, la repentance, l’obéissance et l’espérance. Ils dénoncent des problèmes intemporels comme l’abus de pouvoir et une religion superficielle. En outre, ils orientent la foi des lecteurs vers Dieu et vers ce qu’il a promis: il amènera à leur terme ses desseins de salut. Enfin, les prophètes soulignent merveilleusement la pertinence des projets de Dieu pour les chrétiens à travers le monde, quelle que soit la culture dans laquelle ils vivent.
Merci Daniel!
Pour une recension de ce livre (en anglais) réalisée par Matthieu Richelle, cliquez ici.
N.B. J’avais déjà publié cet article une première fois sur mon blog.
webinaire
La Bible est-elle sans erreur?
Ce replay du webinaire de Florent Varak a été enregistré le 11 juin 2019.
Orateurs
F. Varak