Quelle est la juste place des pratiques culturelles dans l'Église locale? Quand des personnes d'une même culture se réunissent dans une église, le risque que certaines pratiques et traditions culturelles prennent le pas sur les Écritures est bien réel. Chaque Église doit relever ce défi. Mais il peut se révéler particulièrement crucial dans les Églises où les expatriés sont nombreux et où le maintien de leurs traditions est un des attraits de l’Église.
L’apôtre Paul nous donne quelques conseils à ce sujet:
Mais lorsque Pierre est venu à Antioche, je me suis ouvertement opposé à lui, parce qu’il était condamnable. En effet, avant la venue de quelques personnes de l’entourage de Jacques, il mangeait avec les non-Juifs, mais après leur arrivée, il s’est esquivé et s’est tenu à l’écart par crainte des circoncis. (Ga 2.11-12).
Que penser de ces « circoncis »? Nous pourrions aisément les qualifier de faux enseignants, et qui plus est, mal intentionnés. Mais c’est peut-être plus compliqué que cela. Tout d’abord, nous savons qu’ils étaient proches de Jacques, ils faisaient donc probablement partie de l’Église de Jérusalem et témoignaient de leur foi en Jésus, le Messie promis des juifs.
De toute évidence les rumeurs sur le ministère de Paul auprès des païens avaient atteint Jérusalem. En entendant cela, certains croyants juifs ont pu avoir de plus en plus de mal à adhérer au message du salut en Christ seul. De plus, le bruit courait que même leur pasteur, Pierre, mangeait avec des païens.
On peut donc comprendre qu’un groupe d’entre eux vienne à Antioche et dise:
« Écoutez, nous essayons tous de suivre Jésus, mais allez-y doucement! Si les païens veulent être des païens, parfait! Qu’ils le soient. Mais cela ne veut pas dire pour autant que nous devons renoncer à être juifs. Si vous mangez avec des païens, ils doivent au moins se laver et être circoncis. Qu’ils prouvent qu’ils respectent la loi de Moïse. Sinon, il nous sera plus difficile d’évangéliser dans nos maisons. Alors faites un effort. Calmez-vous un peu. »
Quel que soit leur discours, Pierre et les croyants juifs en étaient convaincus. Même Barnabas a été induit en erreur.
Pas de compromis pour Paul.
Paul comprenait tout l’enjeu du choc des cultures. Bien que son ministère ait été auprès des païens, il était régulièrement en contact avec des juifs et des croyants juifs. Écrivant aux Corinthiens, il décrit comment il a vécu comme un juif avec les juifs et comment, avec ceux qui n’étaient pas soumis à la loi, il est devenu comme l’un d’entre eux. « J’ai été [comme] faible avec les faibles afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous afin d’en sauver de toute manière quelques-uns » (1Co 9.22).
En même temps, il était conscient que toute complaisance vis à vis des pratiques culturelles était risquée. Si les circoncis allaient définir la judéité par un refus de s’associer aux païens incirconcis, alors Paul savait qu’il devait rejeter leur enseignement. Un tel enseignement rejetait l’union entre juifs et païens, accomplie dans l’Évangile par Christ et, par conséquent, était un rejet de l’Évangile lui-même. Le défi auquel Paul a été confronté est le même que les Églises ont connu au cours de l’histoire.
Chaque fois que l’Évangile rassemble des gens d’origines culturelles diverses, ils doivent réfléchir à la manière dont il faut envisager leurs pratiques culturelles à l’égard de leur nouvelle unité en Christ. Paul nous propose un cadre pour évaluer nos pratiques culturelles au sein de l’Église. Il faut noter que ce cadre ne repose pas sur le souci pragmatique d’essayer d’atteindre le plus grand nombre de personnes possible, ni sur la volonté de maintenir les traditions culturelles. Au contraire, Paul nous enseigne à évaluer tout ce que nous faisons en fonction de la Parole de Dieu et de la vérité de l’Évangile. Paul relève surtout deux sortes de pratiques culturelles:
Comment utiliser ces deux catégories? Voici trois études de cas:
Le conseil des anciens d’une Église d’expatriés russes comprend des anciens des communautés russophones et anglophones. Les anciens de la communauté anglophone apprennent à s’adapter aux anciens russophones plus âgés dans leur façon de communiquer. Par exemple, au lieu de manifester immédiatement leurs désaccords, ils écoutent patiemment leurs aînés et prolongent les conversations au-delà des réunions d’anciens et pendant les repas de la semaine. Les anciens russophones apprennent également à apprécier les initiatives et l’énergie des anciens anglophones, plus jeunes. Même s’il est parfois difficile de mener des réunions en anglais, ils estiment que cela en vaut la peine pour préparer la prochaine génération de responsables d’Église.
Le conseil des anciens n’est composé que d’anciens russophones de la communauté russe. Le groupe anglophone, composé presque exclusivement de Russes de la deuxième génération, existe depuis une dizaine d’années et fait preuve d’une maturité croissante. Malgré tout, les anciens ont tendance à considérer ce groupe comme des « gamins ». De plus, les différences de langue et de culture entre les deux groupes rendraient les réunions d’anciens trop compliquées pour les plus anciens des russophones. Ils n’envisagent donc jamais la candidature d’hommes qualifiés du groupe anglophone pour le conseil d’anciens.
Les différentes groupes linguistiques de l’Église chinoise sont conscients de la formidable capacité d’évangélisation dont ils disposent. Les communautés de langue mandarine et cantonaise s’efforcent de rencontrer les étudiants étrangers de l’université locale. En leur proposant de les emmener à l’aéroport et à l’épicerie, en leur offrant l’hospitalité et en nouant des amitiés sincères, de nombreux étudiants ont pu entendre l’Évangile pour la première fois et y répondre par la foi. De même, la communauté anglaise de l’Église chinoise cherche des moyens de participer à divers événements de la communauté asiatico-américaine pour développer des relations en vue de l’évangélisation.
Pour les expatriés chinois qui habitent dans des villes à faible population asiatique, l’Église chinoise locale devient vite un lieu convivial sur le plan culturel. Ils y partagent une langue, des traditions et des valeurs communes. Ils s’y sentent à l’aise et s’y intègrent rapidement. Mais dans ce processus d’intégration rapide, l’Évangile n’est pas particulièrement explicite. Leur adhésion à l’Église se base sur le choix de valeurs culturelles communes, plutôt que sur l’Évangile. Très vite, ces membres ont des postes de responsabilité dans le ministère, et servent même comme diacres. De leur côté, les membres de la communauté anglophone se réjouissent de ces actions en faveur des expatriés, mais se demandent si l’on s’intéresse vraiment à leur compréhension de l’Évangile lorsqu’ils intègrent l’Église. Après tout, si la communauté de langue chinoise est surtout unie par des valeurs culturelles, quel est l’intérêt pour ces croyants de la deuxième génération qui, eux, partagent une autre culture?
Comme dans d’autres cultures asiatiques, l’affrontement dans une Église coréenne peut être compliqué. Les pasteurs anglophones savent que tout affrontement doit éviter, tant faire se peut, le déshonneur public. Il faut bien réfléchir à la manière dont on communique des informations et à qui on les communique. Plutôt que de traiter toute question en réunion de membres, les pasteurs rencontrent des petits groupes et vont dans les maisons pour répondre aux questions. Toutefois, en accord avec les pasteurs coréens, cette Église s’est engagée à faire de la confession et de la restauration de l’individu un élément de sa culture d’Église, même si cela nécessite une discipline d’Église en cas de péché grave et non repenti.
Pour ne pas confronter publiquement un péché, ce qui lui vaudrait une honte insupportable, cette Église coréenne refuse de pratiquer toute discipline d’Église. Les cas de péchés notoires et non repentis sont passés sous silence ou cachés sous le tapis, même quand cela concerne les responsables. Pour éviter toute honte, peu de réponses sont données à ceux qui contestent ces décisions; la désunion et la méfiance croissantes entre les communautés de langue différente en sont la conséquence.
Il est clair que des pratiques culturelles différentes peuvent être sources de croissance dans une Église ou, au contraire, conduire à une compromission de l’Évangile. Comment les Églises peuvent-elles discerner si elles sont ou non en train de compromettre l’Évangile?
En deux mots, elles doivent évaluer leurs pratiques. Non pas en fonction d’un certain pragmatisme ou par rapport à des traditions, mais selon la Parole de Dieu. Lorsque Paul a confronté Pierre et les circoncis, il l’a fait pour que « la vérité de l’Évangile soit maintenue » (Ga 2.5). Puissent nos Églises être fidèles et faire de même.
Merci à Christine Davée pour la traduction de cet article.