Nous sommes beaux parce que nous sommes aimés

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Dans une société en crise quant à la valeur de chaque être humain, la 28e thèse de Heidelberg de Martin Luther nous est d’un grand secours. Méditons-la avec ferveur!

En 1518, Martin Luther rédige les 40 thèses de Heidelberg (28 de théologie et 12 de philosophie). La dernière thèse théologique (la 28e) affirme ceci:

L’amour de Dieu ne trouve pas, mais crée ce qu’il aime. L’amour de l’homme ne naît que de ce qu’il trouve aimable.1

Cette thèse est d’une immense profondeur, et d’un grand réconfort.

Sont ici mis en contraste ce qui pousse Dieu à aimer une personne (première partie de la thèse) et ce qui pousse une personne à en aimer une autre (seconde partie de la thèse). Réfléchissons d’abord au registre purement humain: ce qui pousse un être humain à affectionner l’un de ses semblables, c’est qu’il trouve en l’autre quelque chose pour attirer son regard favorable et son amour. Une qualité, une vertu, une marque de beauté.

Dieu, en revanche, procède tout autrement. À la base, il ne trouve en chaque être humain déchu rien qui soit digne de son amour. Du coup, il crée lui-même quelque chose d’aimable en la personne qu’il veut bien aimer. Pour le dire autrement, Dieu nous aime, nous, ses enfants, parce qu’il a choisi de nous faire don de sa grâce rédemptrice et transformatrice (alors que nous ne méritions pas un tel cadeau); et c’est précisément ce don divin, dû à la seule grâce de Dieu, qui nous rend aimables aux yeux de Dieu.

La 28e thèse de Heidelberg résume des pans entiers de l’enseignement biblique, et de la théologie de Paul en particulier. Voici l’explication qu’en donne Luther lui-même (précédée d’une autre traduction française de la thèse; je mets en caractères gras quelques extraits mémorables):

Proposition 28:

L’amour de Dieu ne trouve pas préalablement, mais crée son objet; l’amour de l’homme est créé par son objet.

La seconde partie est évidente et on la trouve chez tous les philosophes et les théologiens. Car l’objet est la cause de l’amour, si l’on affirme avec Aristote que toute puissance de l’âme est passive, matière, et que c’est en recevant qu’elle agit; par là déjà, Aristote montre que sa philosophie est opposée à la théologie, puisqu’elle recherche en toutes choses ce qui lui est propre et reçoit le bien plutôt qu’elle ne le donne.

La première partie de l’affirmation est évidente, car l’amour de Dieu, vivant dans l’homme, aime les pécheurs, les misérables, les insensés, les faibles, de telle sorte qu’il les rend justes, bons, sages, forts; ainsi, il répand plutôt et confère le bien. Car, en effet, les pécheurs sont beaux parce qu’ils sont aimés, ils ne sont pas aimés parce qu’ils sont beaux. Au contraire, l’amour de l’homme fuit les pécheurs, les misérables. Ainsi Christ: « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » [Mt 9.13].

Voilà l’amour de la croix, né de la croix, qui ne se transporte pas là où il trouve le bien dont il pourrait jouir, mais là où il donne le bien au misérable et à l’indigent. Il y a en effet plus de bonheur à donner qu’à recevoir. [Ac 20.35] De là le Psaume 41: « Heureux celui qui a de la compréhension pour le pauvre et l’indigent. » [Ps 41.2]

Et pourtant, l’objet de l’intelligence ne peut pas être naturellement ce qui n’est rien, c’est-à-dire le pauvre et l’indigent, mais ce qui est, le vrai, le bien. C’est pourquoi elle juge selon l’apparence, et prête attention à la personne de l’homme, et juge selon les choses extérieures, etc.2

Je suis reconnaissant envers John Barclay, professeur de Nouveau Testament à l’Université de Durham, pour cet exposé magistral qui met en avant la 28e thèse de Heidelberg de Luther (à partir de 43:00 environ).

Si vous comprenez l’anglais, je vous encourage à écouter la totalité de cette conférence. Elle met en relation avec brio des réflexions d’exégèse biblique (la conception paulinienne du don divin, de la grâce), de théologie historique (Luther) et d’analyse de la société contemporaine (en crise profonde quant à la valeur de chaque être humain).

Ce qui nous donne notre valeur, ce ne sont ni nos propres accomplissements, ni les regards d’approbation qui proviennent (parfois) de nos pairs. Nous avons une immense valeur parce que nous sommes infiniment aimés de Dieu. Nous ne sommes pas beaux parce que nous sommes aimables; nous sommes beaux parce que nous sommes aimés.

Pour aller plus loin:

Dominique Angers

Doyen de la Faculté de Théologie Évangélique à Montréal (Université Acadia), Dominique Angers y est aussi professeur de Nouveau Testament et de prédication. Docteur en théologie de l’Université de Strasbourg, il s’exprime régulièrement sur son podcast vidéo d’enseignement biblique, “Parle-moi maintenant”. Il est l’auteur du livre La méditation biblique à l’ère du numérique et du Commentaire biblique Parle-moi maintenant par Éphésiens. Son prochain commentaire, Parle-moi maintenant par Marc, paraîtra chez BLF.

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Orateurs

D. Angers