On publie ici le résumé d’un excellent petit livre de Don Carson: The Difficult Doctrine of the Love of God. J’ai lu le livre d’une traite. J’en suis ressorti essoufflé, la tête en surchauffe, mais heureux d’avoir pu vivre ces quelques heures à gratter la surface de la diversité et la complexité des façons dont Dieu parle de son amour dans la Bible. Ça fait longtemps que je souhaitais faire une recension du livre. J’étais donc enchanté d’apprendre l’existence d’une superbe synthèse en français du livre. La Bible est le seul « must-read », mais cette synthèse des manières dont Dieu parle de son amour est très utile.
Ce résumé est paru dans le numéro 185 de Promesses (pas encore disponible sur leur site). En fin d’article, vous trouverez le lien vers le PDF gratuit du livre complet en anglais et vers la version papier. MA: Frédéric Mondin, secrétaire d’édition pour les éditions BLF et rédacteur en chef du numéro de Promesses.
Donald Carson, professeur de Nouveau Testament à la Trinity Evangelical Divinity School et auteur prolifique, est l’un des théologiens les plus éminents et les plus reconnus. À la suite de plusieurs conférences, il a publié un bref ouvrage en anglais intitulé The Difficult Doctrine of the Love of God (Crossway, 2000), encore inédit en français. À travers cet article, nous donnons un résumé adapté du début du livre et de son thème principal, en espérant que nos lecteurs qui peuvent lire l’anglais puissent bénéficier du texte intégral.
Le titre de ce livre peut à juste titre surprendre: en effet, si l’on pense à des doctrines difficiles, c’est plutôt la doctrine de la Trinité ou celle de la prédestination qui viennent à l’esprit.
L’immense majorité des croyants aujourd’hui maintient que ce Dieu est un être d’amour. Mais c’est précisément ce qui rend la tâche difficile, car cette croyance largement disséminée en un Dieu d’amour s’insère dans une vision du monde très éloignée de la révélation biblique. Aussi, quand des chrétiens avertis parlent de l’amour de Dieu, ils lui donnent un sens très différent de celui de la culture ambiante.
Dans notre culture, l’amour de Dieu a été purgé de tout ce qu’elle trouve inconfortable: il a été aseptisé, démocratisé et par dessus tout sentimentalisé. Autrefois tout le monde croyait à la justice de Dieu; aujourd’hui c’est beaucoup plus difficile. Même chez les chrétiens, on tend de plus en plus à présenter un Dieu qui « ressent » plus qu’il n’agit, qui « pense » plus qu’il ne dit.
Un courant culturel postmoderne, puissante, renforce la vision syncrétiste, sentimentale et souvent pluraliste de l’amour de Dieu.
Un des résultats les plus dangereux de l’influence de ces versions contemporaines sentimentales de l’amour est l’incapacité généralisée de l’Église de se pencher sur les questions fondamentales qui nous permettent seules de maintenir une doctrine de Dieu bibliquement équilibrée.
À l’intérieur même des cercles chrétiens, la doctrine de l’amour de Dieu est parfois dépeinte comme plus facile et plus évidente qu’elle n’est réellement.
L’Évangile selon Jean est particulièrement riche sur ce thème. Deux fois il est dit que le Père aime le Fils (Jn 3.35; 5.20). L’évangéliste insiste aussi sur le fait que le monde doit apprendre que Jésus aime le Père (Jn 14.31). Cet amour intra-trinitaire de Dieu non seulement distingue le monothéisme chrétien de tous les autres monothéismes, mais il est également, selon des modalités surprenantes, à la base de la révélation et de la rédemption.
La Bible n’utilise pas vraiment le verbe « aimer » dans ce sens, mais ce thème y est pourtant facile à trouver. Dieu crée toutes choses et, avant qu’il y ait la moindre trace de péché, il déclare que tout ce qu’il a fait est « bon » (Gn 1). C’est l’œuvre d’un Créateur aimant. Le Seigneur Jésus décrit un monde dans lequel Dieu revêt l’herbe des champs d’une gloire supérieure que les hommes ne voient pas, peut-être, mais que Dieu voit. Les oiseaux trouvent de la nourriture, mais c’est le résultat de la providence aimante de Dieu et pas un passereau ne tombe sans que Dieu le Tout-puissant ne l’ait permis (Mt 6).
Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils (Jn 3.16). La même vérité se trouve dans de nombreux passages des Écritures. Même si Dieu juge le monde, il se présente aussi lui-même comme le Dieu qui invite et ordonne à tous les êtres humains de se repentir. Aux rebelles, le Seigneur souverain crie: « Je suis vivant! ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il change de conduite et qu’il vive. Revenez, revenez de votre mauvaise voie; et pourquoi mourriez-vous, maison d’Israël? » (Éz 33.11)
Les élus peuvent être la nation d’Israël dans son ensemble ou l’Église comme corps ou des individus. Dans chaque cas, Dieu met son affection sur ses élus comme il ne la met pas sur les autres. L’élément distinctif n’a rien à voir avec un mérite personnel ou national (Dt 7.7; 10.14); il n’est rien d’autre que l’amour de Dieu. À l’évidence, cette façon de parler de l’amour de Dieu diffère des trois précédentes. L’aspect discriminant de l’amour de Dieu apparaît souvent: « J’ai aimé Jacob, et j’ai eu de la haine pour Ésaü », déclare Dieu (Ml 1.2-3). De même, dans le N.T., Christ « a aimé l’Église » (Ép 5.25).
Cette facette de l’amour divin a trait à la structure relationnelle de notre connaissance de Dieu. Non pas à la façon dont nous devenons des disciples du Dieu vivant, mais à notre relation avec lui une fois que nous le connaissons. « Maintenez-vous dans l’amour de Dieu », exhorte Jude (Jd 22), laissant l’impression indubitable que quelqu’un pourrait ne pas se maintenir dans l’amour de Dieu. Le Seigneur Jésus commande à ses disciples de demeurer dans son amour (Jn 15.9-10).
Illustrons par une faible analogie: bien que, dans un sens, mon amour pour mes enfants soit immuable, indépendant de ce qu’ils font, il y a un autre sens dans lequel ils savent très bien qu’ils doivent demeurer dans mon amour: si mes adolescents rentrent sans raison valable après l’heure prescrite, ils subiront mes remontrances et seront punis. Inutile de leur rappeler que je fais cela par amour pour eux. C’est vrai, mais la manifestation de mon amour pour eux n’est pas la même quand je les gronde ou quand je les emmène au spectacle. Dans ce dernier cas seulement, ils se sentiront demeurer dans mon amour plutôt que tomber sous ma colère.
Il est facile de voir ce qui arrive si l’une de ces cinq façons bibliques de parler de l’amour de Dieu est absolutisée et considérée comme la seule valable, ou bien si elle devient le prisme à travers lequel les autres façons de parler de l’amour de Dieu sont relativisées.
Bref, nous avons besoin de tout ce que l’Écriture dit sur ce sujet, ou sinon les ramifications doctrinales et pastorales peuvent se révéler désastreuses.
Nous ne devons pas voir ces différentes façons de parler de l’amour de Dieu comme indépendantes, compartimentées. Dieu est Dieu et il est un. Non seulement nous devons reconnaître avec gratitude que Dieu, dans sa parfaite sagesse, a pensé préférable de nous présenter ces différentes façons de parler de son amour, mais nous devons aussi les garder ensemble et apprendre à les intégrer selon un équilibre biblique. Nous devons les appliquer à nos vies et à ceux à qui nous présentons la Parole avec une pertinence et une sensibilité façonnées par la façon dont ces vérités fonctionnent dans l’Écriture.
Dans ce contexte, on peut bien se demander si certains « clichés évangéliques » sont toujours valables.
– « L’amour de Dieu est inconditionnel »: Sans doute, c’est vrai dans le 4e sens, en rapport avec l’amour électif de Dieu. Mais ce n’est certainement pas vrai dans le 5e sens: la discipline que Dieu exerce sur ses enfants signifie qu’il peut se détourner de nous: c’est l’équivalent divin de la « colère » d’un père contre son fils adolescent indiscipliné. Aussi, rappeler à un chrétien qui s’enfonce dans le péché le cliché: « L’amour de Dieu est inconditionnel », peut lui donner une fausse impression et causer de graves dommages. Un tel chrétien doit plutôt entendre qu’il ne demeurera dans l’amour de Dieu que s’il fait ce que Dieu dit. Il est donc évident que, sur un plan pastoral, il est important de savoir quels passages et quelle façon d’aborder l’amour de Dieu il faut présenter à telle personne et à tel moment.
– « Dieu aime tout le monde exactement de la même manière. » C’est certainement vrai pour les passages relatifs à la 2e et à la 3e catégorie, dans le domaine de la providence. Après tout, Dieu envoie son soleil et sa pluie autant sur les justes que sur les injustes. Mais ce n’est certainement pas vrai des textes appartenant à la 4e catégorie, le domaine de l’élection.
Ainsi il est clair que ce que la Bible dit sur l’amour de Dieu est plus complexe et plus nuancé que les slogans le disent. Pour être des chrétiens fidèles, nous sommes donc responsables de grandir dans notre compréhension de ce que signifie confesser que Dieu est amour.
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Si Dieu est bon, pourquoi autant de mal?
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G. Bignon