À l’heure où l’autorité biblique semble continuellement renégociée selon les sensibilités évangéliques contemporaines, il devient nécessaire de clarifier ce que signifie véritablement lire l’Écriture sous l’Écriture. Cet article explore la dérive d’une lecture individualiste – souvent réduite à une expérience subjective – en contraste avec une lecture enracinée dans l’histoire de l’Église, gouvernée par le témoignage canonique et soumise à l’analogie de la foi. Chez les évangéliques, le problème n’est pas le manque de zèle, mais la méthode d’interprétation (herméneutique).
La montée de l’individualisme théologique a engendré une lecture "solo Scriptura", où l’Écriture devient l’objet d’un dialogue entre moi et ma compréhension. Il ne s’agit plus d’écouter une Parole objective, mais de rechercher dans la Bible la confirmation de mes intuitions spirituelles. Ce phénomène s’inscrit dans une logique postmoderne où l’autorité devient intérieure, émotionnelle et déliée de toute redevabilité ecclésiale ou historique. Ainsi, "ma lecture" devient la norme, même au détriment du sens apostolique.
La Réforme protestante ne s’est jamais fondée sur une lecture individualiste des Écritures. Le principe de Sola Scriptura affirmait que l’Écriture seule possède une autorité finale, mais jamais isolée de son interprétation ecclésiale fidèle, reçue dans le cadre d’un ministère ordonné. La solo Scriptura, par contraste, affirme que ma lecture personnelle est suffisante. Elle se moque de la tradition, délaisse les symboles de foi et décontextualise l’Écriture du peuple qui l’a reçue et transmise.
La tradition – comprise, non pas comme un corpus figé, mais comme la réception vivante de la vérité biblique – forme un cadre dans lequel l’Église lit, comprend et proclame la Parole. Cette tradition est enracinée dans le dépôt apostolique (cf. 2Th 2.15; 1Tm 6.20) et incarnée dans les conciles, confessions et catéchismes. Rejeter ce cadre revient souvent à répéter des erreurs déjà condamnées, à réinventer des hérésies passées et à détacher la Bible de sa fonction ecclésiale.
Loin d’être un principe extrinsèque, l’analogie de la foi (analogia fidei) est enracinée dans la pratique biblique elle-même. Romains 12.6 nous exhorte à prophétiser “selon la mesure de la foi”; 2 Pierre 1.20 rappelle qu’“aucune prophétie de l’Écriture ne peut être un objet d’interprétation particulière”. Jésus lui-même interprète l’Écriture par l’Écriture (Lc 24.27), et Paul fait constamment référence à d’autres textes pour clarifier ses propos (Ga 3; Rm 4). C’est donc l’Écriture qui gouverne l’Écriture.
Lire la Bible n’est jamais un acte neutre. C’est toujours une lecture sous une autorité, qu’elle soit consciente (l’Église) ou inconsciente (la culture). L’Écriture a été donnée à l’Église, gardée par elle, proclamée par elle et interprétée avec elle. L’Esprit de vérité conduit l’Église dans toute la vérité (Jn 16.13), pas les lecteurs isolés sans aucun ancrage dans la communion des saints. La lecture personnelle est bonne et nécessaire, mais elle n’est jamais suffisante.
Revenir à une lecture ecclésiale, confessionnelle et canonique de la Bible, c’est se soumettre à un réalisme historico-biblique: la Bible n’a pas été écrite pour être comprise par des lecteurs détachés du peuple de Dieu, mais pour nourrir l’Église dans la vérité révélée, transmise et proclamée. La Réforme ne fut pas un rejet de la tradition, mais sa purification par le retour à la norme apostolique.
Certains courants charismatiques confondent illumination du Saint-Esprit et inspiration biblique, affirmant parfois que le croyant reçoit directement de l’Esprit une interprétation infaillible de l’Écriture. Cela s’oppose non seulement à l’enseignement réformé, mais à l’enseignement biblique lui-même. L’Esprit n’ajoute pas au texte; il éclaire le cœur pour comprendre ce qui est déjà révélé.
webinaire
Pourquoi avoir une vision biblique de l'Histoire?
Ce replay du webinaire de Frédéric Bican a été enregistré le 12 février 2019.
Orateurs
F. Bican