Le caractère religieux du Yoga (2/2)

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Le Yoga n’a jamais été conçu seulement comme une discipline de mieux-être dans la vie actuelle, mais comme un mode de transformation si radical que ses effets se répercutent sur l’après-vie.

Pour la définition du caractère religieux et l’historique du Yoga voir la première partie de cet article Yoga (1/2)

Pratiques du Yoga

A. En Inde

Au départ, l’assistant doit commencer par dépouiller le vieil homme et, notamment, par renoncer au monde de la façon la plus concrète : abandonner ses biens et sa vie familiale, s’abstenir de tous les plaisirs, s’engager à rester toujours équanime, recueilli, studieux, attentif, fidèle à son maître, etc. Après un temps de noviciat, lorsque le guru (maître spirituel) juge que le désir de s’exercer au yoga est sincère, un premier enseignement porte sur les postures (asanas) et le contrôle du souffle (pranayama). Le yoga, en effet, cherche à détruire la vaine agitation, caractéristique de la vie profane, pour discipliner l’énergie vitale. Une autre étape importante est l’apprentissage de cette concentration : le disciple s’entraîne à se couper du monde extérieur par la pratique du retrait des sens et de l’attention fixée sur un seul point. Quand il arrive à ne penser qu’à une seule chose tout en demeurant parfaitement immobile, en respirant lentement et en étant effectivement insensible à tout phénomène extérieur, il peut aborder l’étape décisive de la méditation profonde. […] En fait, lorsque le disciple est parvenu à ce stade, il a touché au but : le samadhi se produit de lui-même, de façon mystérieuse ; c’est une porte qui brusquement cède, contre laquelle on avait pesé durant de longs moments… Effectivement libéré, assuré de ne plus jamais renaître, l’individu peut vivre encore pour un temps indéterminé, mais, en réalité, il n’appartient plus à ce monde puisque ce qui constitue son être véritable (l’atman) a fait retour à l’Être en soi (le brahman). (17)

B. En France

« Le cours se déroule selon une structure précise, qui a fait l’objet de recherches approfondies et durables. Actuellement, en Europe, de nombreuses formes ou écoles coexistent; chacune pose des accents spécifiques et fait de certains exercices des éléments clés de sa pédagogie… Mais, quel que soit le style adopté, il y a toujours un schème directeur, une cohérence, une visée: la leçon ne peut en aucun cas se réduire à une séquence de postures ou de rythmes respiratoires sans ordre implicite ou sans progression, ou alors il s’agira de créations fantaisistes n’ayant de Yoga que le nom. Le plus souvent, une séance très complète présente six phases successives.

Au début, un temps plus ou moins long est consacré à la détente: la relaxation en position couchée permet de passer des activités précédentes à un état de calme intérieur, favorisant l’apaisement du rythme cardiaque et de la respiration; c’est une entrée en soi, une approche de l’immobilité et du silence, parfois difficile, mais combien nécessaire dans le mode de vie actuel.

On distingue ensuite, selon les styles de pédagogie, divers exercices destinés à préparer corps et mental pour les postures (e.g. « la salutation au soleil »)…..

La troisième phase, habituellement la plus longue, concerne les postures: on les exécute dans un certain ordre, qui provoque un recentrement et une harmonisation, en même temps physique et psychologique; entre chacune, on prend soin de laisser un moment de décontraction et d’intégration, avant d’entrer dans la suivante. Dès le début du cours, la respiration constitue le repère essentiel et permanent: elle accompagne la détente initiale, s’amplifie grâce aux mouvements préparatoires, se modèle sur chaque posture, induisant une dynamique subtile, invisible, mais fondamentale, car sans elle, l’exercice perdrait son intériorité. …. Cependant, on consacre, après la succession des postures, un moment plus ou moins prolongé au travail exclusif sur le souffle: les élèves sont assis, dans une position confortable — le corps se faisant un peu « oublier » ici — et ils pratiquent le prânâyama, selon des données reçues par les traités traditionnels depuis les Yoga-sûtras de Patanjali. Cette quatrième phase offre une certaine variété et le souffle y devient une sorte de matériau impalpable que l’on « sculpte », ou encore un chemin invisible vers la profondeur de soi-même. Extrême attention et total abandon sont requis: on se souvient que ces deux qualités, déjà, faisaient partie des conditions préalables à toute pratique dans les Yoga-sûtras. Le prânâyama, en dehors de contextes très particuliers, ne peut être proposé aux Européens que sous un aspect a-religieux; il n’empêche que son approfondissement débouche sur une sacralisation du souffle comme symbole de l’élan vital, de la conscience lumineuse, et, éventuellement, d’un don divin: à l’enseignant de savoir susciter cette dimension en conservant à chaque élève son espace de liberté. Le prânâyama se prolonge dans des états de concentration, et même de méditation, abordés progressivement, avec prudence, lorsqu’une connaissance de soi fondée sur l’harmonisation du corps et de l’esprit a établi une base structurée, ferme, assurance d’équilibre. … Cette cinquième phase nécessite un environnement calme, une écoute favorable et un certain entraînement à la vie intérieure; elle durera cinq minutes ou une heure… plus parfois!

Enfin, au moins dans notre mode de vie quotidien, il est nécessaire de réserver une transition entre cet état qui couronne la séance de Yoga et le retour aux activités habituelles. …On prend donc le temps de « refaire surface », accordant au passage une grande importance, car il est sage d’éviter toute cassure entre l’intériorité si délicate et si subtile obtenue par une séance bien conduite, et les préoccupations multiples de l’existence.

….Cette formulation contemporaine est-elle infidèle au darshana indien originel ? Bien que l’aspect change considérablement, l’esprit paraît respecté. Ainsi, …les six étapes que l’on a – un peu artificiellement peut-être – distinguées, se conforment, dans une relative mesure, aux angas, aux « membres » du Yoga de Patanjali. » (18)

C. Portée spirituelle de ces pratiques

Ces différentes étapes ne se comprennent que par référence à la doctrine du corps subtil qui, chez chacun d’entre nous, double le corps grossier seul accessible au sens. Ainsi, la tenue du souffle, ou pranayama, sert-elle à permettre au prana (souffle inspiré) d’atteindre un Centre (cakra, roue) situé à la base du corps subtil. Là gît une Puissance qui, chez l’homme ordinaire, n’est que virtuelle (on la compare à un serpent femelle endormi). Réalisée par le yoga (éveillée par le souffle), cette Puissance (on l’appellera Kundalini, l’Enroulée ) s’activera et, guidée par la pensée durant les exercices de méditation, montera progressivement, de chakra en chakra, jusqu’au sommet du corps subtil où elle s’unira à l’âme (atman est un mot masculin) : les noces de l’atman et de la Kundalini, comparées à celles de Shiva (Siva) et de sa parèdre Pârvatî, provoquent une véritable transmutation alchimique de l’individu, que l’on qualifie dès lors de jivan-mukta (délivré-vivant). (19)

« D’autre part, l’asana et l’ekagrata [concentration ferme et continue sur un seul point ou un seul objet afin que toutes les énergies psychiques se trouvent ramassées autour d’un même objet.] imitent un archétype divin; la position yogique a une valeur religieuse en elle-même. il est vrai que le yogin n’imite pas les « gestes » et les « passions » de la divinité, — et pour juste cause! Car le Dieu des yoga-sutra, Içvara, est un pur esprit qui non seulement n’a pas créé le monde, mais qui n’intervient même pas dans l’histoire, ni directement ni indirectement. Ce qu’imite le yogin, c’est donc — à défaut de ses gestes — du moins le mode d’être qui est propre à ce pur esprit. Le transcendement de la condition humaine, la « délivrance », la parfaite autonomie du purusha (le Soi, l’Absolu, la conscience pure) — tout cela a son modèle archétypal dans Içvara. Le renoncement à la condition humaine, c’est-à-dire la pratique Yoga, a une valeur religieuse en ce sens que le yogin imite mode d’être d’Içvara: l’immobilité, la concentration sur soi-même. Dans d’autres variétés de Yoga, l’asana et l’ekagrata peuvent évidemment acquérir des valences religieuses par le simple fait que le yogin devient grâce à elles une statue vivante, imitant ainsi le modèle iconographique. »

« Les visées du Yoga hindou sont d’ordre spirituel. C’est presque une trahison de l’oublier, pour ne retenir de cette antique discipline que l’aspect proprement physique, n’y voir qu’un facteur de santé – ou de beauté – corporelle. En fait ces visées se situent bien au-delà de l’équilibre physico-mental, de l’union, de la cohésion des énergies vitales, qui réalisent, dans le Yogi, la pratique des exercices. Ou plutôt, cet équilibre, cette cohésion, elles les intègrent, en faisant d’elles comme la base et la condition première de la réalisation par l’homme de son vrai « moi », et dans son vrai « moi », de Dieu. » (21)

Le Hatha-Yoga redécouvre la valeur concrète du corps et de la vie humaine, et s’efforce d’obtenir le « salut » à sa manière, à partir de ce corps même dont il transforme la physiologie en une physiologie mystique. » (22)

Le Yoga n’a jamais été conçu seulement comme une discipline de mieux-être dans la vie actuelle, mais comme un mode de transformation si radical que ses effets se répercutent sur l’après-vie. (23)

Si les pratiques, prises individuellement et dépouillées de leur signification spirituelle, correspondent à des exercices physiques, leur association à des doctrine spirituelle marque ces pratiques comme religion. Le fait de prendre du pain et du vin n’a rien de religieux, mais associé à une signification spirituelle, il devient rite religieux, donc proscrit dans un contexte laïc. Le parallèle est identique avec le yoga.

Ces pratiques sont éminemment religieuses !

Dangers potentiels du Yoga

A. Dangers potentiels physiques

A notre avis, le traité pratique se heurte à des difficultés considérables, et présente, à maints égards, de sérieux dangers pour le lecteur. En effet, les éléments essentiels des pratiques yogiques sont loin d’être toujours communicables par voie d’écriture, non plus, du reste, que par simple enseignement oral. Leur transmission ne se conçoit guère sans une démonstration — disons — gymnique ou physiologique, concrète et directe. Il entre dans ces pratiques nombre de gestes — des attitudes corporelles par exemple — que l’on ne saurait apprendre que d’après des modèles; et aussi nombre « d’expériences physiologiques » (entre autres, l’augmentation volontaire de la chaleur du corps) qui réclament l’assistance et la direction d’un maître. Aussi, voué d’avance à être incomplet, un tel traité serait, par-dessus le marché, périlleux. Même dûment avertis, il se rencontrerait encore des lecteurs pour s’abstenir à exécuter sans contrôle tels ou tels exercices, quitte à risquer de graves accidents. La pratique non surveillée de la rythmique respiratoire (pranayama) s’est fréquemment soldée par des affections pulmonaires caractérisées. Faut-il mentionner aussi les troubles nerveux auxquels exposent l’amateur imprudent certaines techniques, nous pensons surtout à celles de « l’érotique mystique ? » (24)

« Il faut savoir que le Yoga – les postures mais surtout les exercices de respiration contrôlée – développe mécaniquement une grande énergie. En ce sens il est dangereux. Si cette énergie ne trouve pas d’exutoire, n’est pas dépensée au profit d’un certain épanouissement des facultés les plus hautes du psychisme et du spirituel, elle risque d’être une entrave, un facteur de déséquilibre. Couper le Yoga de sa vie spirituelle, c’est retourner contre soi les énergies qu’il doit libérer. » (25)

B. Dangers potentiels psychologiques

Toutes les postures et les rythmes respiratoires tantriques (et utilisés dans le hatha-yoga] ont été calculés afin de provoquer rapidement ce processus chez les yogis, qui deviennent des êtres « au-delà des contraires », mais souvent après avoir connu des expériences extrêmement intenses; si les pôles, au lieu de s’attirer, s’opposent, la dualité s’installe et engendre de graves dissociations, conduisant parfois à la folie. D’où la présence indispensable d’un très bon guru, ayant déjà maîtrisé ces expériences et vivant dans un esprit de parfaite compassion. » (26)

« Dans la concentration et surtout dans la méditation, le pratiquant est donc très vulnérable, car sa présence à lui-même est toute d’acceptation: il n’a pas perdu son jugement qu’il retrouvera d’ailleurs clarifié et affermi, mais il l’a levé, suspendu, pour entrer plus profondément en lui-même et, si telle est sa forme de spiritualité, en contact avec une puissance divine. On imagine bien à quels excès des instructeurs à tendance paranoïaque, se sentant investis d’une mission urgente pour le monde, peuvent se livrer. …..le lâcher-prise obtenu par des exercices classiques et irréprochables se trouve exploité, parfois, dans le sens d’un véritable « viol » psychique, …où les préceptes inoculés dans ces moments de totale réceptivité atteignent l’inconscient et y laissent des traces indélébiles. » (27)

Le Yoga est « l’annihilation de toutes les fonctions du mental, l’art de vider son mental et d’en faire un feuillet blanc. » (28)

Conclusion

Si nous pouvons nous réjouir que le yoga exige le respect de principes remarquables (« Parmi les conditions requises, figure une longue liste de valeurs à respecter, telles que la chasteté, l’équanimité, la véracité » (29), ce mouvement est clairement à rattacher à un mouvement religieux.

Le Yoga n’est pas une religion externelle mais internelle. Il s’avère être « une réaction contre le formalisme, contre la « lettre morte » des rituels. » (30)

« la rapidité du succès est fonction de la mollesse, de la demi-mesure, ou de l’ardeur de la pratique, et de l’abandon total au Seigneur suprême. » (31)

Ainsi, le yoga ne peut être pratiqué ou enseigné sous ce terme ou sous celui de relaxation dans les écoles publiques, sans violer le principe de la laïcité.

Peadar Somers & Florent Varak
(Pour la commission d’éthique de la Fédération Évangélique de France)

  • (17) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
  • (18) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, pp. 81-85.
  • (19) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1029.
  • (20) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 101,102.
  • (21) J.M. Déchanet, La Voie du Silence, p. 56.
  • (22) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 234-235.
  • (23) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, p. 55.
  • (24) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 12,13.
  • (25) J.M. Déchanet, Yoga Chrétien en Dix Leçons, [Cité dans Non au Yoga de M. Ray, p.88]
  • (26) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, p. 70.
  • (27) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, pp. 111,112.
  • (28) Saravasti, La pratique de la Méditation, Paris : Albin Michel, 1950, p. 118.
  • (29) J. Varenne, « Yoga », Op. Cit., p. 1029.
  • (30) M. Eliade, Op. Cit., p. 278.
  • (31) Yoga-sutra, chapitre 1, v.22,23.

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Ecoutez aussi le podcast de Florent Varak sur ce même sujet :

Que penser du Yoga en tant que chrétien? (Episode 68)

Florent Varak

Florent Varak est pasteur, auteur de plusieurs livres dont le Manuel du prédicateur, L’Évangile et le citoyen et la ressource d’évangélisation produite en co-édition avec TPSG: La grande histoire de la Bible. Florent est aussi conférencier, et professeur d’homilétique à l’Institut biblique de Genève. Il est le directeur international du développement des Églises au sein de la mission Encompass liée aux Églises Charis France. Il est marié avec Lori et ont trois enfants adultes et mariés, ainsi que cinq petits-enfants. Il détient un M. Div de Master’s Seminary (Californie, USA) et un Master de recherche de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine.

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