Le caractère religieux du Yoga (1/2)

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Le Petit Robert définit une religion de la manière suivante : "Ensemble d’actes rituels liés à la conception d’un domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l’âme humaine en rapport avec Dieu" ; "Attitude particulière dans les relations avec Dieu" ; "Système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un principe supérieur, et propre à un groupe social."

Introduction

A. Qu’est-ce qu’une religion?

Le Petit Robert définit une religion de la manière suivante: « Ensemble d’actes rituels liés à la conception d’un domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l’âme humaine en rapport avec Dieu »; « Attitude particulière dans les relations avec Dieu »; « Système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un principe supérieur, et propre à un groupe social. »

Nous trouvons une religion lorsque plusieurs des caractéristiques suivantes sont présentes:

  1. L’homme est considéré comme une entité spirituelle
  2. L’homme a accès à une dimension spirituelle
  3. Il existe une méthode pour parvenir à cette dimension

Ainsi, tant par l’origine d’un mouvement (historique), par sa conception du monde (cosmologie), par sa visée (objectifs) et par ses pratiques (moyens), un observateur peut déterminer si tel ou tel mouvement se rattache ou non à une religion. Car un mouvement révèle sa nature lorsque son historique témoigne d’une recherche spirituelle, lorsque sa cosmologie affirme l’existence d’un monde spirituel, lorsque ses objectifs s’appliquent à faire passer l’homme dans des sphères spirituelles, et lorsqu’il propose à ses adhérents des gestes propres à éveiller une conscience spirituelle.

Il s’entend qu’il existe bon nombre de mouvements religieux aux conceptions opposées! L’école laïque ne doit ni les défendre, ni les attaquer, mais veiller à ce que les partisans des mouvements les plus divers puissent cohabiter et apprendre sans être gêné dans leur conscience.

B. Qu’est-ce que la laïcité?

La loi du 28 mars 1882 proclame la « neutralité confessionnelle de l’école publique » (voir particulièrement les articles 1 à 3). L’article 14 du 1er Juillet 1901 interdit d’enseigner aux membres des congrégations religieuses., renforcé par la loi du 7 juillet 1904. L’article 30 de la loi du 9 décembre 1905 stipule que l’enseignement religieux ne peut être donné qu’en dehors des heures de classe. Une longue circulaire du 12 décembre 1989 de l’Education nationale et de la Jeunesse et des sports détaille l’attitude des enseignants à l’égard de la laïcité:

L’École publique ne privilégié aucune doctrine. … L’École publique respecte de façon absolue la liberté de conscience des élèves. …

En conséquence, dans l’exercice de leurs fonctions, les enseignants, du fait de l’exemple qu’ils donnent explicitement ou implicitement à leurs élèves, doivent impérativement éviter toute marque distinctive de nature philosophique, religieuse ou politique qui porte atteinte à la liberté de conscience des enfants ainsi qu’au rôle éducatif reconnu aux familles. L’enseignant qui contreviendrait à cette règle commettrait une faute grave.

C. Objectif du mémoire

Puisqu’un certain nombre d’établissements scolaires ont intégré l’enseignement du yoga, il convient de déterminer si ceci est compatible avec le principe de laïcité. Après avoir tracé un bref historique nous évaluerons la doctrine du Yoga à trois filtres révélateurs de la nature religieuse d’un mouvement. Nous utiliserons les propos des enseignants du yoga, afin qu’il ne nous soit pas fait l’accusation de malhonnêteté!

Historique du Yoga

Le yoga classique indien provient d’un texte attribué à Patanjali dont on connaît peu de choses. Il aurait vécu au Pendjab au IVè siècle avant notre ère. Ce texte formule l’essentiel de la pensée et de la pratique du yoga, les écrits postérieurs n’en sont que des commentaires. Cette collection de maximes écrites en sanscrit porte le nom de yoga-sutras (aphorismes sur le yoga). Ces courtes phrases sont difficilement compréhensibles; elles sont mémorisées par l’étudiant, puis commentées par des spécialistes dans les ashrams.

Il convient par conséquent de lire les Yoga-sutras avec les explications fournies par Vyasa (IIè s. avant notre ère?), Vacaspati Mishra (IXè s.?), Bhoja (XIè s.), Vijnana Bhikshu (XVIè s.) et d’autres. (2)

Différents courants se manifestent ayant la même visée spirituelle, et plus ou moins la même technique d’approche.

On préfère aujourd’hui admettre que le yoga hindou n’est qu’un aspect particulier de tout un ensemble de pratiques et de doctrines diffusées dans le monde au début de l’âge des métaux; visant au salut individuel (et non plus collectif) par l’apprentissage d’une vérité intime (et non plus extérieure) acquise grâce à des prouesses corporelles et mentales, elles ont en commun la mise en avant de la volonté comme facteur essentiel (mais non pas unique) de progrès spirituel […].

A une date plus récente [du 4è s. av. J.-C. au VIè s. après] […] sont décrites des pratiques héroïques ou spectaculaires (postures acrobatiques, manifestation de pouvoirs surnaturels, pénitences extraordinaires, suicides publics) ordonnées cependant à la poursuite d’un but spirituel qui seul les distingue des tours accomplis par les magiciens de foire.

Plus tard encore, lorsque l’islam et le christianisme s’implantent en Inde, le yoga, tout en gardant sa spécificité (et notamment son caractère spectaculaire), tend à se spiritualiser: la recherche des pouvoirs magiques, pourtant cautionnée par Patanjali (le chapitre III des Yoga Sûtras leur est consacré), passe au second plan; […] L’accent est mis alors sur l’enseignement métaphysique (ou religieux, selon certaines écoles), comme on le voit par exemple dans l’œuvre de maîtres contemporains tels que Vivékânanda ou Aurobindo. (3)

Hatha-Yoga-Pradipika:- « Ouvrage de référence du XVIè siècle sur le Hatha-Yoga. En quatre chapitres de 395 versets, Svâtmârâma, l’auteur, rapproche les exercices du Hatha-Yoga de ceux du Râja (ou Royal)-Yoga et montre comment ils se complètent. Après un exposé très détaillé, il en arrive à la conclusion que le Râja-Yoga commence là où finit le Hatha-Yoga. » (4)

« Cette science glorieuse resplendit comme une échelle pour qui désire atteindre les cimes du Râja-Yoga » (chapitre 1 v.1). « A ceux qui ne peuvent connaître le Râja-Yoga, …. Svâtmârâma dans sa compassion offre cette « lampe du hatha-yoga » » (chapitre 1 v.3). [Hatha-Yoga-Pradipika, Traduction française, Fayard, Paris, 1975.]

Cosmologie du Yoga

Littéralement: « joug », recherche de « l’attelage », de l’union avec Dieu. (5)

Le yoga part de l’idée que tout est souffrance dont il faut être délivrée. Cette douleur est causée par la « séparation d’avec l’essence (l’Absolu, le brahman): l’âme individuelle (en sanskrit atman) qui n’est pas différente de cet Absolu, mais qui, réduite par le poids des actes accomplis dans les existences antérieures (karman) à s’incarner dans un corps vivant, souffre de cette condition déchue et aspire à retourner se fondre dans le principe universel dont elle est issue » (6).

Hatha-Yoga: « A l’origine, ce yoga n’était qu’une technique du Râja-yoga ou Yoga-royal enseigné par Patanjali [fondateur de la philosophie du Yoga qui vivait vers le 11è siècle avant Jésus Christ. (Il n’attache aucune importance à la métaphysique théorique; il cherche à montrer la voie pratique qui mène au salut et à la délivrance par l’activité disciplinée. C’est dans ce but qu’il rédigea son Yoga-Sutra.) Cette technique (Hatha-Yoga) permettait de stimuler l’activité des centres d’énergie psychique (Chakra) afin de faire progresser la Kundalini vers des degrés de conscience plus élevés. Les principaux exercices de cette méthodes sont les asana et le pranayama, le contrôle des flux de prana. Le but de l’exercice est de réunir Ha (le souffle solaire, connu sous le nom prana) et Tha (le souffle lunaire ou Apana), ce qui confère des pouvoirs spirituels au Hatha-Yogi (i.e. le pratiquant) et permet à la Kundalini de commencer à gravir les six chakras. Le Hatha-Yoga enseigne différentes postures physiques et différents exercices de purification. De nos jours, son principal objectif est devenu la santé physique. Quand on parle de Yoga en Occident, c’est presque toujours au Hatha-Yoga que l’on fait référence. Une multitude de professeurs et d’écoles l’enseignent. » (7)

Selon l’hindouisme la vie humaine est transcendantale et cyclique, d’où vient la doctrine de la réincarnation. Elle est pleine de douleurs et chagrins qui sont à la base de la condition de l’homme. Le but du yogi est de se retirer de ce cycle douloureux de la mort et d’atteindre l’immortalité. Cette libération (salut) est entraînée par la mort de sa propre humanité en devenant un avec l’absolu. Ainsi il devient un « jîvanmukta » c’est-à-dire « délivré de son vivant ». A travers le yoga un homme profane peut devenir sacré ou divin. (8)

Il y a une polyvalence des pratiques yogiques comme le Karma-Yoga ou le Bhakti-Yoga ou le Râja-Yoga (yoga-royal), mais quand on parle de yoga en Occident on évoque en général le Hatha-Yoga qui est une forme de yoga basée sur l’association d’exercices physiques (âsana) et d’exercices respiratoires (Prânâyâma). En Inde ce yoga est considéré comme une phase de préparation aux formes spirituelles du yoga. Pour les peuples de l’Orient les pratiques yogiques sont des voies sotériologiques: « presque tout est ou devient une voie pour l’obtention du salut. » (9)

Ainsi nous découvrons que le yoga comporte une vision du monde qui implique la croyance en:

  1. un Absolu,
  2. une âme qui doit rejoindre cet Absolu,
  3. la réincarnation.

Cette conception du monde est éminemment religieuse!

Objectif du Yoga

L’objectif des Yoga-sutras est de donner un cours complet de yoga, c’est-à-dire d’indiquer comment on parvient au samadhi libérateur (ou délivrance) au terme d’un voyage intérieur difficile comportant huit étapes … Le yoga n’est pas autre chose que la méthode (c’est l’un des sens du mot yoga) permettant de réaliser ce retour à l’Être, au cours de l’expérience du samadhi. (10)

[Le samadhi,] que Mircea Eliade a proposé de traduire par « entase » (car il est le contraire de l’extase: non pas ravissement, sortie de soi, mais réintégration, intériorisation parfaite), désigne à la fois le moment où la délivrance s’opère et l’état permanent qui, désormais, sera celui de l’homme libéré. (11)

« Le Hatha-Yoga se donne pour but, .. la réintégration de l’individu dans une totalité plus vaste, de nature divine, constituée de deux grands pôles universels, que la mythologie figure sous les aspects de Shiva et de Shakti. Le Hatha-Yoga tantrique appartient à la mouvance du Shivaïsme; en tant que pratique, il s’intègre dans une métaphysique qui atteint parfois des sommets d’une finesse rare, afin de préserver la transcendance du dieu Shiva. Le Grand Suprême est inaccessible, mais il porte en lui son énergie cosmique, sa faculté d’extériorisation, son émanation créatrice, symbolisée par la grande Déesse mère-amante. Quand l’homme, par le samâdhi, s’approche de l’extrême puissance de ces archétypes divins, il en éprouve un amour et une terreur simultanés autant qu’illimités: » (12)

La tradition indienne, tant hindoue que bouddhique, désigne sous le nom de yoga (action d’atteler, de maîtriser, de dompter ) une technique de salut originale qui se propose de libérer l’âme de sa condition charnelle par l’exercice de disciplines psychiques et corporelles. Le point de départ en est la croyance en l’existence, à l’intime de chaque individu, d’un principe éternel (atman, âme ) identique à l’Esprit universel (purusa, ou brahman); cette essence est en quelque sorte exilée dans le monde de l’existence où elle est condamnée à se réincarner indéfiniment, passant de corps en corps à la manière d’un oiseau migrateur (hamsa, oie sauvage)…

Cependant, la lumière qui émane d’elle (l’âtman est comme un feu qui brûle dans le cœur de chaque être) parvient, dans certains cas, à illuminer la pensée (manas), qui joue le rôle du cocher dans la symbolique du char. Ayant pris conscience de la condition malheureuse de son âme, l’individu ainsi éclairé s’efforce de maîtriser les chevaux de l’attelage jusqu’à parvenir à l’arrêt complet du véhicule — circonstance unique (car normalement la course n’a pas de fin, même si le char est différent à chaque vie nouvelle) dont l’âtman profitera pour quitter à jamais sa condition de passager involontaire. C’est là tout le programme du yoga; et l’on voit immédiatement quelle place privilégiée il accorde à l’esprit humain (manas): les exercices corporels n’ont de valeur, dans cette perspective, que dans la mesure où ils contribuent à donner à la pensée la plénitude de sa puissance. (13)

[…] un ensemble d’exercices psychiques et corporels orientés vers l’obtention d’un bien spirituel […] le yoga est aussi une alchimie, puisqu’il se propose de transmuer l’individu afin de lui permettre de sortir du monde phénoménal, de quitter la multiplicité existentielle pour atteindre l’Unité essentielle et se fondre avec elle. (14)

Le but du Yoga, … est de supprimer la conscience normale au profit d’une conscience qualitativement autre, qui puisse comprendre exhaustivement la vérité métaphysique. Or, la suppression de la conscience normale n’est pas, pour le Yoga, si facile à obtenir. Outre la gnose, le darçana, elle implique encore une « pratique » (abhyasa), une ascèse (tapas), bref: une technique physiologique, par rapport à laquelle la technique strictement psychologique est subsidiaire. (15)

« Sa fin ultime, son vrai but est de préparer l’homme à acquérir cette quiétude de l’esprit nécessaire à la réalisation du « Suprême », ou « conscience du Divin ». » (16)

Cet objectif est éminemment religieux!

Lire la suite de l’étude : Le caractère religieux du Yoga (2/2)

  • (1) J. Varenne, « Patanjali », Vol. 12, p. 603.
  • (2) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
  • (3) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1030-31.
  • (4) Dictionnaire de la Sagesse Orientale, P.204.
  • (5) Dictionnaire de la Sagesse Orientale. Éditions Robert Lafond, S.A., Paris, 1989.
  • (6) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
  • (7) Dictionnaire de la sagesse orientale, p. 208.
  • (8) M. Eliade, T. du Y., p. 278.
  • (9) M. Eliade, Techniques du Yoga Éditions Gallimard, 1975, p. 262.
  • (10) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
  • (11) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
  • (12) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris: Droguet et Ardant, pp. 67-69.
  • (13) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1029.
  • (14) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1030.
  • (15) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 65,66.
  • (16) S. Bikram-Shah, in J.M. Déchannet, La Voie du Silence, p.41.

Florent Varak

Florent Varak est pasteur, auteur de plusieurs livres dont le Manuel du prédicateur, L’Évangile et le citoyen et la ressource d’évangélisation produite en co-édition avec TPSG: La grande histoire de la Bible. Florent est aussi conférencier, et professeur d’homilétique à l’Institut biblique de Genève. Il est le directeur international du développement des Églises au sein de la mission Encompass liée aux Églises Charis France. Il est marié avec Lori et ont trois enfants adultes et mariés, ainsi que cinq petits-enfants. Il détient un M. Div de Master’s Seminary (Californie, USA) et un Master de recherche de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine.

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