La France n’est pas un peuple non-atteint. Le réaliser est une bonne chose, non seulement pour les progrès de l’Évangile dans le monde, mais aussi pour le développement des Églises en francophonie.
Ceci est un extrait de mon travail de fin d’études réalisé pour l’Institut Biblique de Bruxelles en 2019, sur le sujet des peuples non-atteints. J’y parle de la France car il s’agit d’un pays que je connais bien, mais je pense que la réflexion pourrait s’appliquer également à d’autres pays francophones comme la Belgique, la Suisse, ou le Québec.
La France compte seulement 1.23% de chrétiens évangéliques. Cela n’en fait-il pas un peuple non-atteint? C’est vrai que l’on définit souvent un peuple non-atteint comme un peuple au sein duquel le nombre de chrétiens est inférieur à 2%. Cependant, une telle définition est incomplète. Voici cinq raisons pour lesquelles je crois que la France n’est pas à ranger dans la catégorie « non-atteint », suivies de trois précisions.
Une définition en termes de pourcentage est problématique, car elle ne permet pas de se rendre compte de manière précise des progrès de l’Évangile au sein d’un contexte particulier. Le critère quantitatif (moins de 2% de chrétiens) ne suffit pas, il faut un critère qualitatif.
Si nous appliquons un critère quantitatif uniquement, alors nous serons par exemple amenés à mettre le peuple Fulani au Nigéria au même niveau que la France en termes de progrès de l’Évangile: non-atteints. Hors, la prise en compte d’autres critères nous montre que ces deux peuples ne sont pas au même niveau.
Les Fulani au Nigéria comptent 0.26% de chrétiens évangéliques pour 15 972 000 habitants, avec 99.65% de musulmans. Le Nigéria est septième sur l’index mondial de persécution de Portes Ouvertes de 2022. Il est clair qu’une personne grandissant au Nigéria et une personne grandissant en France n’auront pas le même accès à l’Évangile. En France, il y a plus de 2 000 Églises évangéliques, la possibilité d’acheter la Bible dans des grandes librairies publiques comme la FNAC, des structures développées, et quelqu’un qui pose des questions sur le christianisme ne risque pas d’être persécuté. Ce n’est pas le cas au Nigéria.
Nous ne sommes certainement pas en train de dire que la France est un pays saturé de l’Évangile, et qui n’aurait plus besoin de nouvelles implantations d’Église, loin de là (prions pour plus d’ouvriers!). Nous voulons simplement faire prendre conscience qu’il y a une grande différence entre les deux, et qu’un critère quantitatif ne permet pas de le constater.
Il est très probable que les Églises en France, quoique minoritaires, aient les moyens d’atteindre leur population avec l’Évangile. Rappelons la définition de David Platt à laquelle nous adhérons:
Les peuples et les lieux non atteints sont ceux parmi lesquels Christ est dans une large mesure inconnu et l’Eglise est relativement insuffisante pour faire connaître Christ à sa population au sens large sans aide extérieure. – David Platt, Mission Precision, p.90
Il est vrai qu’il y a, en France, des gens qui n’ont jamais entendu l’Évangile biblique, c’est terrible. Mais les Églises ont les moyens de les atteindre. Nous avons les moyens d’annoncer l’Évangile au reste de notre population, et, à terme, de voir des Églises implantées là où il n’y a pas de témoignage évangélique. Cela ne veut pas dire que c’est facile, ni que cela sera rapide, mais plutôt que c’est possible.
Nous en avons non seulement les ressources humaines, mais également les ressources financières et matérielles. Les Églises francophones (quoique faibles et ayant toujours besoin de soutien extérieur pour certains aspects) sont suffisamment établies pour former, équiper et envoyer les chrétiens atteindre leurs contemporains avec l’Évangile.
En revanche, les peuples non-atteints n’ont pas toutes ces ressources. Nous avons une dizaine de traductions de la Bible, ils n’en ont pas une seule, pour beaucoup d’entre eux. Ils n’ont pas d’outils pour étudier la Bible ni pour l’enseigner, pas de livres, pas de blogs, ni d’autres ressources dans leur langue. Sans intervention extérieure, ce n’est pas possible que l’Évangile progresse, qu’il atteigne leurs contemporains.
Comme nous l’avons vu plus tôt dans cet exposé, une distinction est nécessaire. Par souci de mieux répondre au mandat missionnaire que le Seigneur nous a laissé (Mt 28.18-20), et parce que l’amour chrétien nous presse, nous voulons voir où en sont les progrès de l’Évangile dans le monde.
Il est donc logique de faire une distinction, et ce n’est pas un crime de devoir dire que la France et la Belgique sont « atteints », là où d’autres peuples sont « non-atteints ». Mettre tout le monde sur le même niveau n’aide pas, puisque cela amène à délaisser les peuples qui ont un besoin plus pionnier de l’Évangile. Il est donc nécessaire et utile, même si ce n’est pas facile de pouvoir dire « ceci est un peuple non-atteint » et « ceci ne l’est pas », sur la base des critères que nous avons vus (la présence d’une Église en bonne santé, la capacité des croyants à atteindre le reste du peuple avec l’Évangile, etc.).
Quatrièmement, nous pouvons rappeler, comme nous l’avons signalé plus haut, que « non-atteint » n’est pas un synonyme pour une personne qui n’est pas convertie, qui est perdue. Comme le dit Marv Newell, « Le simple fait que quelqu’un ne croit pas à l’Évangile ne signifie pas qu’il est non atteint. » (source) Il y a des personnes qui ne sont pas sauvées dans les pays considérés comme « atteints », dont la France et la Belgique. Nous voulons faire tout notre possible pour leur annoncer l’Évangile et les exhorter à la suite de Paul: « Soyez réconciliés avec Dieu! » (2 Co 5.20) Ce n’est pas de ça dont il est question en parlant de « non-atteint ». Ce dont il est question, c’est d’accessibilité à l’Évangile.
Cinquièmement_,_ nous ne pouvons pas considérer ceux qui nous entourent comme non-atteints. Nos voisins, par exemple, même s’ils n’ont jamais entendu l’Évangile, ne sont pas non-atteints, pour la simple et bonne raison qu’ils sont nos voisins! Ils ont accès à l’Évangile, puisque nous sommes là où ils sont. David Platt répond à cette objection:
Certains se demandent pourquoi nous devrions mettre l’accent sur les non-atteints alors qu’il y a des gens perdus tout autour de nous. Cependant, les personnes perdues autour de vous ont accès à vous, ainsi qu’à d’autres chrétiens et églises. Les non-atteints, par contre, n’ont aucun moyen d’entendre l’Évangile. Donc oui, nous devrions toujours essayer d’atteindre les personnes perdues autour de nous, mais en termes de missions interculturelles, notre première priorité devrait être ceux qui n’ont actuellement pas accès à l’Évangile. – David Platt, Mission Precision, p.90-91
Un non-atteint, ce n’est pas seulement quelqu’un qui n’a jamais entendu l’Évangile. C’est quelqu’un qui, non seulement n’a jamais entendu l’Évangile, mais encore qui n’a personne pour le lui annoncer.
Ces remarques et distinctions peuvent sembler assez brutes, et être presque un dénigrement du travail qui reste à accomplir en France. Là n’est pas notre propos, c’est pourquoi nous terminons en apportant quelques précisions.
D’abord, nous ne sommes jamais en train de dire que certains n’ont pas besoin de l’Évangile, ou que nous ne devrions pas annoncer l’Évangile à certaines personnes. Comme David Platt le dit dans la citation précédente, « nous devrions toujours essayer d’atteindre les gens perdus autour de nous ». Les gens vivant en France ont désespérément besoin de l’Évangile, et nous voulons investir notre temps, notre énergie, et nos vies, pour que cette bonne nouvelle soit entendue par le maximum de monde dans notre pays.
Ensuite, il n’est pas question non plus de distinguer deux catégories de peuples: ceux où il y a encore des besoins, et ceux où il n’y a plus de besoin. En ce sens, les termes « atteints » et « non-atteints » peuvent induire en erreur, puisque l’on pourrait penser à tort qu’un peuple « atteint » est un peuple au sein duquel il ne faudrait plus attendre de progrès de l’Évangile.
Le terme « non atteint » est plutôt malheureux car il implique une bascule marche/arrêt ou oui/non, suggérant seulement deux options: rien ne se passe (non atteint) ou pas besoin d’envoyer des missionnaires du tout (atteint). Lorsqu’une bascule est la mesure, on peut facilement se concentrer sur les comptes à rebours et cocher les groupes d’une liste lorsqu’ils franchissent un certain seuil. Un meilleur terme pourrait être « moins atteint » impliquant une échelle ou une progression. – Dan SCRIBNER, Bill MORRISON, Duane FRASER, dans un email reçu et cité par DATEMA, p.65.
Donc le souci, en distinguant les peuples atteints des peuples non-atteints, n’est pas de se demander « est-ce qu’il y a du travail pour l’Évangile à faire dans ce peuple? » – parce qu’il y a partout du travail et besoin d’ouvriers! Ce n’est pas qu’il n’y a pas de travail à accomplir dans les peuples atteints, mais plutôt que ce travail sera différent. Le souci est plutôt de savoir si c’est un endroit où nos efforts missionnaires devraient se concentrer, parce que, dans les peuples non-atteints, sans efforts missionnaires de la part de l’extérieur, les gens de ces peuples n’auront pas l’opportunité d’entendre parler de l’Évangile.
Cela implique que nous ne voulons pas distinguer ceux qui partent dans les peuples non-atteints comme étant « plus consacrés », « plus obéissants », alors que ceux qui restent ou vont dans des peuples atteints le seraient moins. Loin de là! Nous voulons reconnaître que les besoins existent partout, et que répondre à ces besoins implique différents dons, ministères, et services, qui ne seront pas les mêmes en fonction de l’avancement de l’Évangile dans l’endroit en question. À ce sujet, nous pouvons nous souvenir de ce que nous avons vu dans Romains 15: il n’y a pas de conflit entre une mission pionnière comme celle de Paul, et un ministère sédentaire comme celui de Timothée ou Tite. Nous devons reconnaître qu’il existe des missions spécifiques, et que cela est une bonne chose.
Enfin, et cela recoupe certains éléments déjà avancés, nous voulons affirmer que la mission locale est toujours nécessaire et qu’elle ne concurrence pas la mission mondiale. Parler de peuples non-atteints et encourager à considérer cette réalité dans le contexte de nos Églises locales ne veut pas dire négliger la mission locale.
Nous reconnaissons que la mission locale est indispensable, puisqu’un peuple atteint est un peuple au sein duquel l’Évangile doit continuer à se répandre. La seule différence est que cela ne se fera pas au travers d’une aide extérieure, mais au travers de chrétiens locaux. L’aide extérieure pourra alors être dirigée vers d’autres peuples non-atteints, en visant le même but. Si l’on reprend l’exemple de la France, le fait d’encourager les chrétiens à prier, donner et partir vers les peuples non-atteints ne sera pas une entrave à la mission locale qui reste à y accomplir. Il ne faudrait pas y voir une concurrence, ou un danger de « piquer des ouvriers ».
Au contraire, viser les peuples non-atteints implique des Églises locales en bonne santé, qui s’engagent avec joie dans le mandat missionnaire de faire de toutes les nations des disciples. Cela implique des chrétiens solides, matures, ancrés dans la parole, et zélés pour le Seigneur. Sommes-nous prêts à l’être?
Découvre aussi mon précédent article: « Mon voisin est-il non-atteint? »
webinaire
Est-ce que ma vie chrétienne est "normale"?
Ce replay du webinaire de Dominique Angers a été enregistré le 21 Octobre 2021.
Orateurs
D. Angers