Il existe deux sources pour l’étude du personnage historique de Jean-Baptiste: le Nouveau Testament et les Antiquités juives de l’historien Flavius Josèphe. Ces deux sources disent-elles la même chose?
Les quatre évangiles (Mt, Mc, Lc et Jn) font tous abondamment référence au ministère de Jean-Baptiste. Les textes concernés sont:
On prendra également note des références suivantes dans les Actes des Apôtres:
Devant ce témoignage fort des écrivains du Nouveau Testament, une question se pose: les récits évangéliques sont-ils fiables sur le plan historique?
La réponse – positive – fait pratiquement unanimité, même parmi les universitaires peu enclins à reconnaître de coutume la fiabilité historique des récits narrés dans les évangiles.
En effet, l’historien juif Flavius Josèphe, qui n’était ni chrétien ni disciple de Jean-Baptiste, consacre un paragraphe fort intéressant de ses Antiquités juives à la figure du Baptiste. Or les écrits de Josèphe représentent notre principale source pour l’étude de l’histoire de la Palestine au 1ersiècle de notre ère1.
Voici le texte en question:
Certains Juifs furent d’avis que l’armée d’Hérode avait succombé de par Dieu qui – c’était là une expiation fort justifiée – vengeait ainsi Jean surnommé Baptiste. Celui-ci était, en effet, un homme de bien qu’Hérode avait fait mettre à mort. Il exhortait les Juifs à pratiquer la vertu, à agir avec justice les uns envers les autres et avec piété envers Dieu, pour être unis par un baptême. Car c’était assurément ainsi que le baptême s’avérerait agréable à Dieu, s’il servait non pour se faire absoudre de certaines fautes, mais pour purifier le corps, après que l’âme eut été préalablement purifiée par la justice.
Comme les autres Juifs se rassemblaient, car ils étaient exaltés au plus haut point en écoutant les paroles de Jean, Hérode craignit qu’une telle force de persuasion n’incitât à une révolte: chacun semblait prêt à faire n’importe quoi sur les conseils de cet homme. Il estima bien préférable de prendre les devants et de le supprimer avant que quelque trouble surgisse du fait de Jean, plutôt que de se retrouver lui-même dans l’embarras si un bouleversement se produisait et d’avoir alors à le regretter.
Victime des soupçons d’Hérode, Jean fut envoyé prisonnier à la forteresse de Machéronte dont j’ai parlé plus haut, et il y fut mis à mort. Les Juifs furent d’avis que c’était pour le venger que l’armée avait été condamnée à la destruction: Dieu avait voulu frapper Hérode.
– Antiquités juives 18.116-119, cité d’après Flavius Josèphe. Un témoin juif de la Palestine au temps des Apôtres (présentation par une équipe de la faculté de théologie de Lyon) (Supplément au Cahier Evangile 36), Paris, Cerf, 1981, p. 50-51.
Les lecteurs hellénisants peuvent accéder ici au texte grec.
Parmi les nombreux traits communs aux Évangiles et à Josèphe (se reporter aux parties en caractères gras dans la citation qui précède), relevons:
Cependant, Josèphe se distingue peut-être des récits néotestamentaires sur deux points.
D’abord, les motifs ayant poussé Hérode à se débarrasser de Jean divergent (la politique chez Josèphe, une affaire familiale dans les évangiles). Toutefois, cet écart est tempéré, pour certains, lorsqu’est pris en compte le passage plus vaste des Antiquités juives dans lequel le texte cité est inséré:
Cependant, la structure même du texte de l’historien juif manifeste un lien indirect entre la mort du Baptiste et les amours d’Hérode et d’Hérodiade2.
Le contexte littéraire dans son ensemble, déterminant pour cette ligne d’interprétation, est accessible en ligne en cliquant sur ce lien (en traduction française, lire à partir du no. 109).
Ensuite, l’extrait suivant, que je n’ai pas mis en gras dans le paragraphe de Josèphe, mérite un bref commentaire:
Car c’était assurément ainsi que le baptême s’avérerait agréable à Dieu, s’il servait non pour se faire absoudre de certaines fautes, mais pour purifier le corps, après que l’âme eut été préalablement purifiée par la justice.
Une telle déclaration évoque le sujet sensible du lien qui existe entre baptême et pardon des péchés dans le ministère de Jean-Baptiste. Elle a été interprétée diversement.
Pour les uns, l’affirmation de Josèphe rend explicite sur le plan théologique ce que les évangélistes suggèrent plus subtilement.
En effet, Marc affirme par exemple que Jean « proclamait un baptême de repentance en vue du pardon des péchés » (Marc 1.4). Du fait que le rapport entre baptême et pardon des péchés fait intervenir la repentance, les évangélistes seraient d’accord avec Josèphe pour affirmer que le baptême de Jean n’a de sens que s’il est précédé d’un engagement personnel à mener une vie caractérisée par la justice, la vertu et la piété envers Dieu. Le baptême n’est alors que le signe visible d’un changement plus profond. En langage protestant, le baptême n’a aucune efficacité ex opere operato (« de par l’action opérée »). En lui-même, il ne confère pas le pardon divin. Il est dépourvu de signification s’il n’est pas accompagné d’une repentance sincère3. Sur ce point, Josèphe et les évangélistes sont au diapason.
Pour les autres, l’affirmation de Josèphe s’éloigne du récit évangélique et se rapproche du sens donné aux bains rituels dans la communauté essénienne de Qumrân:
Josèphe transfère probablement au baptême de Jean ce qu’il sait des bains rituels esséniens; la Règle de la Communauté de Qoumrân donne à ces bains un sens presque identique à celui que Josèphe donne au baptême de Jean4.
Quoi qu’il en soit de ces deux derniers points sujets à débat, les rapprochements mis en évidence dans ce billet entre le portrait biblique de Jean-Baptiste et celui qu’esquisse Flavius Josèphe sont tout à fait remarquables!
Ils ne font que renforcer, si besoin était, la confiance que les lecteurs avertis des évangiles ont raison d’avoir dans la fiabilité historique du témoignage rendu.
1 Ainsi Christian Grappe, Initiation au monde du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides (Le monde de la Bible 63), 2010.
2 Flavius Josèphe. Un témoin juif de la Palestine au temps des Apôtres (présentation par une équipe de la faculté de théologie de Lyon) (Supplément au Cahier Evangile 36), Paris, Cerf, 1981, p. 49.
3 Ainsi R.T. France, The Gospel of Mark. A Commentary on the Greek Text, Grand Rapids, Eerdmans (NIGTC), 2002, p. 67.
4 F.F. Bruce, « Jean-Baptiste », dans le Grand Dictionnaire de la Bible, Cléon d’Andran, Excelsis, 2004, p. 798.
webinaire
La Bible est-elle sans erreur?
Ce replay du webinaire de Florent Varak a été enregistré le 11 juin 2019.
Orateurs
F. Varak