5 fausses théories au sujet de Jésus

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Qui était réellement Jésus? C’est la question que j’ai posée ces dernières semaines aux lycéens auxquels j’enseigne la théologie. Bien que la plupart de mes étudiants aient grandi dans l'Église, je sais qu’ils seront mis au défi lorsqu’ils arriveront à l’université.

Beaucoup d’entre eux vont faire face à des déclarations discordantes, de la part de leurs professeurs ou de leurs camarades, à propos du « vrai » Jésus. Des affirmations qui sont en contradiction avec la confession de foi de l’Église, qui décrit Jésus comme le Fils de Dieu ressuscité.

C’est pourquoi je veux que mes étudiants soient prêts. Je veux qu’ils sachent que ces théories existent depuis longtemps, tout comme les réponses chrétiennes à ces affirmations. Malgré ce que bien des spécialistes critiques soutiennent, il n’y a aucune contradiction entre le « Jésus historique » et le « Christ de la foi ». En fait, l’étude de la figure historique de Jésus peut bien souvent renforcer la foi. Mais pour cela, il faut s’intéresser à ces critiques avec honnêteté et évaluer leurs arguments.

J’examinerai ici cinq théories alternatives populaires au sujet de Jésus, et je conclurai ensuite avec quelques conseils pour y répondre en tant que chrétien.

1. Jésus, le mythe païen

Même si cette théorie n’est plus soutenue par beaucoup de spécialistes de nos jours, elle a pourtant la vie dure sur des sites web athées (un étudiant aura donc plus de chances de l’entendre de la part d’un camarade que d’un professeur).

Cette théorie prétend que Jésus n’a jamais vraiment existé. Les récits de sa naissance, de sa vie, de sa mort et de sa résurrection seraient des mythes que les premiers chrétiens auraient empruntés aux religions païennes « à mystère » (comme le culte de Dionysos ou de Mithra), qui seraient apparus plusieurs siècles avant le christianisme.

Les racines de cette théorie remontent à des érudits allemands du 19ème siècle comme David Strauss (1808-1874) selon qui le Nouveau Testament ne serait qu’une collection de redites sur la vie de Jésus. Ou Bruno Baier (1809-1882) qui a affirmé radicalement que Jésus n’aurait tout simplement jamais existé.

Cette pensée a gagné en influence dans le département d’Histoire des religions à l’université de Göttingen (ndlr: en Allemagne), pour ensuite décroitre au cours du 20ème siècle, lorsque les spécialistes ont commencé à étudier les preuves plus attentivement (des penseurs contemporains comme Richard Carrier et Robert Price défendent toujours cette thèse, mais même des spécialistes non-chrétiens comme Bart Erhman l’ont réfutée).

Un consensus général sur cette question existe aujourd’hui: la plupart des parallèles supposés entre le christianisme et les religions à mystère sont, soit inexistants (parfois complètement inventés), soit des coïncidences, ou des anachronismes. En réalité, on n’a jamais pu prouver que ces religions existaient en Israël au 1er siècle. Et leurs traces dans d’autres régions sont presque toutes datées après la fondation du christianisme. Si emprunt il y a eu, c’est donc probablement dans l’autre sens.

2. Jésus, le prophète raté

Cette théorie, populaire chez les spécialistes critiques, est basée sur une lecture des prophéties apocalyptiques de Jésus (Mt 16.28, 24.34) où Jésus prédit que le Royaume de Dieu viendra, accompagné de signes dans le ciel et de cataclysmes, du vivant de ses disciples. Selon eux, puisque la fin du monde n’a pas eu lieu du vivant de ses disciples, Jésus s’est trompé et donc, la religion chrétienne se base entièrement sur une erreur.

De plus, de nombreux tenants de cette théorie affirment que Jésus lui-même n’aurait jamais prétendu à la divinité. Il se serait considéré comme un simple prophète ou comme un roi, mais certainement pas comme le Fils de Dieu, existant de toute éternité.

Cela remet grandement en question, selon eux, la confiance que l’on pourrait porter au Nouveau Testament, dans ce qu’il nous apprend à propos de Jésus. Sont toutefois acceptés tous les éléments qui pourraient ternir son image (c’est le critère de « l’embarras ecclésiastique », selon lequel plus une information serait dérangeante dans la Bible, plus elle a de chances d’être véridique. Voir Jesus, Criteria, and the Demise of Authenticity de Chris Keith [ENG]).

La théorie du « prophète raté » remonte au théologien alsacien Albert Schweitzer (1875-1965). Même si Schweitzer a rappelé avec raison l’importance du caractère eschatologique (concernant la fin des temps) du message de Jésus, il avait tendance à sélectionner ses preuves, en mettant en exergue certaines prophéties de Jésus, tout en en passant d’autres sous silence. Parmi les textes ignorés, ceux où Jésus a affirmé que le Royaume de Dieu était une réalité présente (Lc 11.20, 17-20.21) et a aussi reconnu qu’il ignorait le moment de son retour (Mt 24.36).

Les adeptes de la théorie de Schweitzer se reposent aussi sur un présupposé: les éléments de langage apocalyptique juifs du 1er siècle (le soleil qui s’obscurcit, les étoiles qui tombent du ciel…) seraient à interpréter littéralement. Mais une comparaison avec la prédication de Pierre à la Pentecôte (Ac 2.17-21) suffit à montrer que ce n’est pas toujours le cas.

Jésus s’attendait bel et bien à un évènement sans précédent du vivant des disciples, mais il ne s’agissait pas nécessairement de la fin du monde physique. Le Royaume de Dieu, tel que Jésus l’a enseigné, dépasse toutes les attentes.

3. Jésus, le philosophe moralisateur

Si la théorie du « prophète raté » exagérait les attentes apocalyptiques de Jésus, la théorie du « philosophe moralisateur » les ignore tout simplement. Jésus est dépeint comme un enseignant de sagesse, faisant la promotion de vérités morales intemporelles.

Cette vision de Jésus est assez fréquente chez beaucoup de non-chrétiens; chez les spécialistes, elle a souvent pris la forme de « Jésus, le philosophe cynique ». Le cynisme, dans le monde gréco-romain, ne désignait pas une personne foncièrement pessimiste ou méfiante (comme on utilise ce mot aujourd’hui); c’était plutôt un courant qui refusait les biens matériels et les conventions sociales. Critiques du matérialisme et de l’hypocrisie qu’ils observaient autour d’eux, les cyniques refusaient de se laver, de se baigner, et allaient même parfois jusqu’à faire leurs besoins naturels en public, d’où le surnom de « chiens » (le sens de cynique en grec).

Le « Jésus cynique » est traditionnellement associé aux membres du Jesus Seminar, groupe de travail qui a eu son heure de gloire dans les années 80 et 90. Parmi eux, des théologiens comme Burton Mack et John Dominic Crossan ont mis en avant plusieurs similitudes entre Jésus et la philosophie cynique.

Cependant, il existe au moins deux faiblesses majeures qui nous empêchent de désigner Jésus comme un cynique. Premièrement, il n’y a aucune preuve de l’existence du cynisme en Galilée à l’époque de Jésus (au contraire, les preuves montrent une féroce résistance des juifs face aux influences païennes en Galilée). Deuxièmement, il y a bien plus de différences entre Jésus et la philosophie cynique que de similitudes.

De nos jours, peu de spécialistes défendent encore cette théorie.

4. Jésus, le révolutionnaire violent

Il s’agit d’une vieille théorie qui revient de temps en temps, mais qui n’a jamais eu beaucoup de succès. Elle prend ses racines chez l’ancêtre des « quêtes du Jésus historique », le déiste allemand Hermann Reimarus (1694-1768). Reimarus prétendait que Jésus n’avait jamais souhaité fonder une nouvelle religion, ni mourir pour les péchés de l’humanité. Son message aurait plutôt été un appel à la libération nationale (de l’oppression romaine), ce qui lui aurait valu la condamnation et la crucifixion.

Cette théorie a trouvé une nouvelle actualité au 20ème siècle avec S.G.F. Brandon (1907-1971), qui prétendait que Jésus était influencé par le mouvement zélote du 1er siècle. Plus récemment, le bestseller de Reza Aslan (2013) a également redonné vie à cette théorie (pour en savoir plus, voici un article [ENG] qui traite du sujet).

Tout comme pour les autres portraits alternatifs de Jésus, celui-ci repose sur une sélection partielle des preuves. Il met en avant les aspects socio-politiques de la proclamation du Royaume de Jésus, tout en omettant ses aspects spirituels. Comme Darrel Bock le remarque, Jésus décrit l’arrivée du Royaume de Dieu non pas comme une armée qui se lève, mais comme des démons qui sont chassés et des malades qui sont guéris (Lc 11.20). Les ennemis que cible Jésus ne sont pas les Romains, mais les forces spirituelles qui retiennent le monde captif du péché. Les critiques les plus virulentes de Jésus dans les Évangiles ne sont pas adressées aux Romains, mais à ses compatriotes juifs, eux qui s’attendaient à l’intervention de Dieu sur la base de leur zèle nationaliste et de leur attachement à la loi (Mt 23.1-36).

On peut aussi noter que parmi les douze disciples choisis par Jésus figurait Matthieu, un collecteur d’impôts. Difficile d’envisager un tel choix de la part d’un révolutionnaire anti-romain.

5. Jésus, l’existentialiste anhistorique

Enfin, un certain nombre de spécialistes ont abandonné toute recherche historique concernant Jésus. Pour eux, chercher à savoir ce que Jésus a réellement dit ou fait n’est pas seulement impossible, c’est aussi inutile. Le but du Nouveau Testament, disent-ils, est de nous amener à une rencontre personnelle avec Dieu, pas de nous communiquer de supposés faits du passé… faits qui ne sont probablement pas aussi réels qu’on le pense.

Cette théorie remonte à Rudolf Bultmann (1884-1976), qui a proposé une approche des Écritures « démythologisante »: il s’agit de s’affranchir de tous les détails imaginatifs ou non pertinents de la vie de Jésus, pour parvenir à ce que Bultmann appelait la vérité centrale du christianisme: le kérygme (« proclamation » en grec) de l’Évangile. Ce kérygme est défini en termes existentialistes, appuyant l’expérience personnelle avec Dieu et l’appel à se tourner vers lui.

Comme d’autres avant lui, ce théologien a validé le mur de séparation entre le Jésus historique et le Christ de la foi. Mais alors que d’autres ont utilisé ce mur pour attaquer la foi, Bultmann l’a utilisé pour isoler la foi de l’histoire. Il a traité le christianisme comme un épi de maïs: l’histoire est la feuille, le kérygme est le grain.

Le problème majeur de cette théorie est qu’elle est entièrement subjective. Si on n’accorde aucune confiance en ce que le Nouveau Testament nous dit à propos de Jésus, alors chacun est libre de le définir dans ses propres termes. Si ce n’est pas Jésus qui fixe l’essence de l’Évangile, qui le fera alors?

Jésus, compréhensible, crucifiable et conséquent

Les spécialistes chrétiens ont développé plusieurs argumentaires sérieux pour répondre à ces portraits falsifiés du Christ. En étudiant Jésus dans son contexte historique, à la lumière de preuves que des non-chrétiens eux-mêmes reconnaissent comme vraies, nous pouvons parvenir à de solides conclusions à propos de sa personne. Voici trois tests que toute théorie sur Jésus devrait passer pour être historiquement acceptable (adapté du livre Jesus and the Victory of God de N.T. Wright, p. 131-133 [ENG]).

Le vrai Jésus doit avoir été:

Compréhensible. Jésus étant un juif galiléen du 1er siècle, nous devons nous attendre à ce que ses paroles et ses actes s’intègrent dans ce contexte historique et géographique. Ses auditeurs devaient pouvoir comprendre son message, et d’une certaine manière être attirés par ce message (car plusieurs l’ont suivi). Ceci rend difficile les théories d’un Jésus « philosophe cynique » ou d’un Jésus « mythe païen ». Ces portraits n’ont tout simplement aucun sens dans le contexte juif de Jésus.

Crucifiable. Il faut que Jésus ait dit et fait des choses suffisamment offensantes pour que les autorités juives aient désiré le mettre à mort. S’il n’était qu’un simple enseignant moral, ou un révolutionnaire anti-romains, on comprendrait mal pourquoi les juifs, qui partageaient ces mêmes valeurs, auraient formé le projet de le supprimer. Il y avait quelque chose chez Jésus de l’ordre du blasphème, pour ses contemporains.

Conséquent. L’impact de Jésus devait être suffisamment important chez les premiers chrétiens qu’ils n’ont pas hésité à souffrir ou même mourir pour leur témoignage, qui affirmait un Jésus ressuscité. Un prophète raté ou un révolutionnaire aurait pu attirer au mieux de l’admiration; mais pour que des juifs monothéistes puissent adorer cet homme après sa mort, il en fallait assurément plus.

Même si les théories alternatives sur Jésus ne manquent pas, les chrétiens n’ont pas à se sentir menacés par elles. Avec une bonne préparation, l’étude des théories critiques peut renforcer notre foi et notre relation avec notre Seigneur qui a réellement marché parmi nous.

Kyle Dillon

Kyle Dillon est pasteur assistant dans le Tennessee, et enseigne la théologie dans une université. Il tient également le blog Allkirk.net.

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