Je suis en train de finir « La vision chrétienne du monde », qu’un cher frère m’a prêté. Voici un extrait qui m’a éclairé sur les origines de la distinction qu’on retrouve dans nos Églises entre « ministère à plein temps » et « travail séculier »:
Je suis en train de finir « La vision chrétienne du monde », qu’un cher frère m’a prêté. Voici un extrait qui m’a éclairé sur les origines de la distinction qu’on retrouve dans nos Églises entre « ministère à plein temps » et « travail séculier »:
L’origine de la dichotomie du travail et des loisirs remonte aux Grecs et aux Romains. Selon Cicéron, la tâche de l’ouvrier qu’on embauche et qui n’est payé que pour son labeur et non pour son savoir-faire artistique n’est pas digne de l’homme libre et s’avère sordide quant à son essence. Le problème qui se posait n’était pas celui du labeur en tant que tel mais de savoir si ce labeur était librement choisi. Commentant la conception du travail du monde gréco-romain, le spécialiste de science politique Paul Marshall écrit: « On s’élevait contre le travail et les relations qui se fondaient sur la dépendance et la nécessité, c’est-à-dire sur l’absence d’autonomie ». C’est pourquoi on évaluait les différentes formes de travail selon le degré de liberté et de dépendance qui les caractérisait. Plus la liberté était grande, moins la dépendance (et la nécessité) était importante et plus le travail était apprécié. Aristote, par exemple, considérait le travail de berger comme hautement honorable car il laissait plus de temps libre que d’autres formes d’occupations paysannes.
Le dualisme de la liberté et de la nécessité impliquait que, dans l’Antiquité, la plus grande partie du travail était accomplie par les esclaves et les serviteurs au sein de l’empire romain. Les hommes libres, par définition, n’étaient pas censés s’adonner à des travaux nécessaires et donc sordides. Augustin (354-430), le plus grand des Pères de l’Église, a conservé une vision dualiste des vocations. Il n’a pas affirmé que les chrétiens ne devaient pas du tout se livrer à des travaux séculiers, mais il pensait que les métiers agricoles, les carrières militaires et juridiques, la navigation et le commerce n’étaient que des « rivières de Babylone » qui un jour passeraient, étant temporelles et non éternelles. C’est pourquoi selon lui, ce n’était pas par ces métiers que le croyant pouvait répondre à une vocation chrétienne.
Le dualisme grec de la liberté et de la nécessité se transforme chez Augustin en une distinction entre la « vie contemplative » et la « vie active ». Cette dernière forme de « vie » inclut tous les travaux « nécessaires », obligatoires, et la première recouvrait les domaines de la réflexion, de la méditation et de la prière. Et Marshall note ce qui suit: « Alors que ces deux genres de vie étaient bons, la vie contemplative appartenait à un ordre supérieur. Parfois, il pouvait être nécessaire de s’adonner à la vie active, mais toutes les fois que cela était possible, il fallait choisir l’autre genre de vie; « On aime l’une des formes de vie, l’autre on l’endure » ». Le dualisme de la contemplation et de l’action correspond à celui des loisirs et du travail.
Thomas d’Aquin, bien plus tard (1225-1274), a suivi Augustin et sa distinction de la vie contemplative et de la vie active. Il a identifié la première à l’aspiration aux choses éternelles et la seconde aux nécessités de la vie présente. Les deux formes de vie ont leur importance, selon lui, mais la vie contemplative représente un appel plus noble que la vie active. C’est pourquoi, seules la vie monastique et la prêtrise constituent des vocations réellement chrétiennes. « En fait, écrit Marshall, on utilisait seulement les termes de vocation ou d’appel pour désigner ce genre de carrières. »
Ainsi la distinction qu’on fait entre « le service de Dieu à plein-temps » et « le travail séculier » n’est qu’une version chrétienne moderne de la dichotomie du travail et des loisirs, et de la nécessité et de la liberté. Ce dualisme trouve son origine dans la pensée grecque et, adapté à un certain christianisme par les Pères de l’Église, il a persisté jusqu’à nos jours. Bien qu’il n’ait aucun fondement scripturaire, il imprègne notre façon de penser et donc notre vision du monde.
La vision chrétienne du monde, B. Walsh & R. Middleton, p. 126-128
webinaire
Bien ou mal? L’éthique biblique dans un monde compliqué
Ce replay du webinaire du Dr. Vincent Rébeillé-Borgella et de Florent Varak a été enregistré le 27 janvier 2017.
Orateurs
F. Varak et V. Rébeillé-Borgella