Une lettre personnelle à mon moi de 30 ans.
En ce jour toi seul seras exalté
Et les objectifs sans valeur seront exposés
En tant qu’idoles que nous avons créées.
(cantique « All Is for Your Glory », traduction libre)
C’était un banal test de pré-embauche, à l’époque où le bureau d’un ordinateur n’était autre que le bureau lui-même sur lequel on pouvait s’appuyer.
Dans un coin du bureau, quelque chose qui ressemblait à un moule à gâteau en cuir débordait de documents en papier: lettres, post-it, courriers reçus récemment, journaux, magazines, notifications du gouvernement, factures, relevés, demandes écrites personnelles, relevés de messages téléphoniques… toutes les formes d’information prédigitales qui affluaient dans une « boîte » de réception réelle.
Il était demandé aux potentiels cadres managériaux de montrer comment ils s’occuperaient de ce panier. Dans la plupart des cas, l’avide jeune candidat prometteur se plongeait dans son travail et s’occupait des tâches de manière sérielle, un document à la fois, jusqu’à ce que l’examinateur (à cette époque moins sensible à l’estime de soi d’un chercheur d’emploi) l’interrompe avec « ne nous appelez pas, nous vous recontacterons ».
Plutôt que de s’occuper des documents les uns après les autres, ceux qui réussissaient l’examen faisaient preuve d’un jugement catégoriel en divisant immédiatement la grande pile de documents en plusieurs petites piles, en fonction de l’importance et de l’urgence de ce qui était requis. La recrue prodigieuse disait alors: « Je commencerais par ceci », et le recruteur répondait: « Quand pouvez-vous commencer? »
La « gestion du temps » est une pratique qui a attiré mon attention pendant presque toute la durée de ma carrière de trente ans dans les affaires et la politique. J’ai lu tous les gourous et adopté tous les nouveaux outils. Je suis passé des to-do listes sur des blocs-notes à des photocopies de pages d’agenda de mon propre design, puis au système Executive ScanCard qui existe toujours, au Franklin Planner, et enfin à un défilé de plusieurs années de nouveaux logiciels, d’applications en ligne et de solutions basées sur le cloud. Je ressemblais beaucoup à un collègue qui a dit une fois: « Tout ce que j’ai appris sur la gestion du temps, je l’ai appris en copiant mes tâches dans une nouvelle application de gestion du temps. »
Avec le recul, je m’aperçois désormais que le partage des outils de travail de l’âge digital avec mes collaborateurs et mes réseaux sociaux – avec toutes les informations mondiales que Google a voulu organiser et rendre universellement accessibles – a fonctionné comme un opioïde sur mon cœur, créant une addiction aux tâches qui a affamé et appauvri mon compte relationnel sans forcément y gagner concernant mon efficacité ou ma productivité.
Ce n’est pas juste une question d’outils. Les appareils ne sont que des accélérateurs d’une sorte de péché. Je me souviens qu’une fois, avant l’apparition des smartphones, j’étais en train de débriefer avec ma femme sur la productivité de ma journée et sur les plans immédiats que j’avais dans le but d’avancer dans mon travail. C’est devenu un monologue si détaché que j’ai levé la tête et que je l’ai vue, elle que je prétendais aimer, en train d’agiter ses mains et de dire: « Bonjour, est-ce que tu te souviens que je suis ici? »
Ma focalisation sur les tâches à accomplir était devenue plus que simplement de l’enthousiasme pour mon travail. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à discerner que le zèle pour être efficace et productif, particulièrement dans notre économie basée sur l’information et le service, est une idole sournoisement asservissante.
Le but de notre travail n’est pas la tâche à accomplir; il s’agit de Dieu et des autres personnes. Combien de fois, en portant des œillères et la tête baissée sur mon ouvrage, ai-je râlé et marmonné lorsque quelqu’un osait interrompre mon travail? Chargé par Dieu de m’occuper de moutons, je suis allé jusqu’à faucher le pâturage en leur présence, par zèle, et j’ai laissé de la laine ensanglantée dans tous les coins. J’avais souvent un énorme besoin de me détacher de mes listes.
On trouve deux grands mandats dans les Écritures. Le premier se trouve dans Genèse 1.28: « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez. » Le deuxième, bien sûr, se trouve en Matthieu 28.19-20, où Jésus nous dit: « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. »
Si chacune des tâches à accomplir avait besoin d’être écrite, j’imagine que le monde lui-même ne pourrait pas contenir toutes les listes de choses à faire qui seraient créées, par des croyants comme par des non croyants. Mais lorsqu’il a été poussé à donner le plus grand des commandements, Jésus a dit:
Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Matthieu 22.37-39
Il n’a nulle part proposé de fiche d’évaluation du grand mandat missionnaire, sur laquelle on noterait des mesures de fécondité, de multiplication, de remplissage, de domination, de formation de disciples, de baptême ou de plans à suivre. Il y a peut-être différentes sortes de tâches, mais le travail est dirigé par Dieu et tourné vers Dieu et vers les autres. Ce travail, c’est l’amour – pas la productivité, l’efficacité, l’accomplissement, la renommée, les trophées, les compétitions, les publications, les profits, les brevets ou les promotions.
Nous qui avons reçu le Seigneur et qui avons cru en son nom, nous ne serons jamais à court de temps; mais nous pouvons manquer l’opportunité présente de toucher ceux qui ne l’ont pas encore reçu.
Même si les plus grands accomplissements terrestres n’étaient jamais oubliés, et il nous est promis qu’ils le seront, ils ne seraient rien de plus qu’un piètre point de petite taille en bas d’une page de l’un des innombrables volumes dans l’infinie bibliothèque de l’histoire du travail rédempteur de Dieu dans le monde. Les travaux qui se répercutent d’ici jusqu’aux moments les plus lointains de l’éternité sont la louange et l’amour que nous montrons à Dieu, et l’amour que nous portons aux autres.
Si j’avais l’occasion de tout recommencer, j’écouterais plus attentivement la suggestion de C.S. Lewis ci-dessous, et les gens deviendraient les objets sans égal de ma fascination et de mon service dans toutes mes œuvres.
Il n’y a pas de gens ordinaires. Vous n’avez jamais parlé à un simple mortel. Nations, cultures, arts, civilisations – ces choses sont mortelles, et leur durée de vie comparée à la nôtre est comme celle d’un moucheron. Mais ceux avec qui nous rigolons, travaillons, nous marions, que nous snobons et exploitons, sont des immortels – horreurs infinies ou splendeurs éternelles. Cela ne veut pas dire que nous devons perpétuellement être solennels. Nous pouvons jouer. Mais notre gaieté doit de celles du type (et c’est, en réalité, la plus joyeuse des manières) qui existe entre des personnes qui se sont, dès le départ, mutuellement pris au sérieux. Pas de désinvolture, pas de supériorité, pas d’arrogance.
(C.S. Lewis, The Weight of Glory, traduction libre).
Il me reste encore du temps pour finir, sinon bien, au moins mieux. Et pendant que je fais cela, je suis reconnaissant pour une lettre adressée à mon moi de 61 ans par un ami de 91 ans:
Premièrement, vis pour Dieu au jour le jour. Peu importent les projets que nous avons sur le long terme, nous devons prendre l’habitude de planifier chaque jour de travail à l’avance, soit en débutant par cela chaque matin, soit (et c’est mieux je pense) la veille. Notre but constant devrait être de glorifier Dieu, et c’est dans ce but que nous devons acquérir l’habitude de réexaminer devant Dieu chaque journée pour voir jusqu’où nous sommes allés dans ce que nous avions planifié, ou si, et pourquoi, et jusqu’où, nous avons changé notre plan pour qu’il aille de pair avec de nouvelles circonstances et de nouvelles idées, et dans tous les cas, à quel point nous avons fait du mieux que nous pouvions pour notre Dieu, et à quel point nous avons failli de le faire.
(J.I. Packer, Finishing Our Course with Joy, traduction libre)
Merci à Amélie Sieffert pour la traduction de l’article. Article traduit avec autorisation. ©2018 Desiring God Foundation. Site web: desiringGod.org
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