J’ai eu le privilège d’interviewer David Jackman quelques jours avant la conférence nationale de Prêche la Parole sur Ésaïe qui se déroule le 11 et 12 novembre 2019 à Paris (il reste des places ici). On a bien évidemment parlé d’Ésaïe et de comment s’y prendre pour prêcher ce livre titanesque. Il donne une quantité étonnante de conseils très pratiques. Ne passez pas à côté de ce que cet expert d’Ésaïe vous partage ici.
Je m’appelle David Jackman. Je suis marié avec Heather et on fêtera nos 50 ans de mariage en juillet 2020. Nous avons deux enfants adultes qui sont tous les deux mariés et qui ont chacun deux enfants. On est donc heureux d’avoir quatre petits-enfants âgés entre 10 et 13 ans, trois garçons et une fille.
J’ai étudié la littérature anglaise à l’Université de Cambridge. J’étais étudiant là-bas alors que C. S. Lewis était l’un des professeurs. J’ai ensuite été professeur de collège et de lycée quelques temps, puis je suis devenu équipier des GBU en Angleterre pendant 6 ans. Après cela, j’ai fait des études théologiques à Trinity College dans la ville de Bristol où J. I. Packer était mon tuteur et Alec Motyer le directeur.
J’ai ensuite été pasteur à Southampton d’une église indépendante pendant 15 ans. En 1991 on m’a invité à rejoindre l’équipe de Proclamation Trust (NDT: l’équivalent anglais de Prêche la Parole) pour créer l’école de formation Cornhill Training Course à Londres, un lieu dédié à la formation de prédicateurs textuels.
L’école en est maintenant à sa 29e année et bien que je sois désormais retraité, je suis heureux de pouvoir continuer à m’y impliquer. J’enseigne dans des conférences, j’accepte encore des invitations pour prêcher dans des Églises et je participe à la rédaction de manuels de formation. J’ai à cœur de voir se lever dans le monde entier une nouvelle génération de prédicateurs compétents et fidèles pour manier la Parole de Dieu (2 Tim 2.15).
J’ai enseigné le livre de nombreuses fois au fil des ans à Cornhill Training Course. Il y a 7 ans, dans notre Église de Londres, j’ai prêché à travers le livre entier en 2 ans et demi. J’ai aussi prêché sur de nombreuses sections, que ce soit à Southampton (l’Église où j’étais pasteur 15 ans) ou lors de retraites d’Églises ou d’autres conférences. Me plonger autant de fois dans ce livre a vraiment été un privilège pour moi.
J’ai été sensibilisé à la beauté d’Ésaïe lors de mes études théologiques où Alec Motyer était professeur d’Ancien Testement. C’était un homme qui a consacré sa vie à étudier Ésaïe et a écrit 3 commentaires et guides sur ce livre.
Son grand enthousiasme et son aide précieuse, à la fois pour prêcher et pour enseigner le livre, m’ont encouragé à essayer de marcher dans ses traces. Ésaïe est un livre rempli de Christ et l’Évangile. Ésaïe est le prophète de la justification par la foi dans l’Ancien Testament et son livre sert aussi de survol de la théologie de l’Ancien Testament (comme Romains le fait dans le Nouveau Testament).
Ésaïe est donc un livre fondamental pour une bonne théologie biblique. C’est aussi un livre à l’approche pastorale tout-à-fait exceptionnelle quand il s’agit d’appliquer à nos cœurs la vérité qu’il enseigne. Si mon Église n’entend pas Ésaïe, je suis en train de les priver d’un des moyens les plus importants pour développer une compréhension biblique de la vie.
La majorité infidèle du peuple de Dieu se contente de l’honorer seulement des lèvres et de pratiquer les rituels religieux, mais avec des cœurs qui sont éloignés de Dieu. La tâche d’Ésaïe est de proclamer le caractère de Dieu, ses plans et son appel pour un reste de croyants qui resteront fidèles dans les jours difficiles qui se pointent à l’horizon (autant avant que pendant l’exil à Babylone).
L’accent principal du livre est le suivant: comment Dieu, dans sa grâce et sa puissance rédemptrice, transformera-t-il la cité infidèle (Es 1) en la cité fidèle (Es 65)? Cela sera possible par la personne et l’œuvre du Messie, qui est Emmanuel (Dieu avec nous), le serviteur souffrant et le roi conquérant. Le salut ne pouvant être obtenu que par la grâce seule, par la foi seule, l’homme est appelé à exercer cette foi en recevant et en croyant les paroles de Dieu, et à attendre sa délivrance, en vivant dans l’obéissance. Clairement, tout cela a des implications et demeure un défi pour les croyants du Nouveau Testament, alors que nous nous réjouissons de la venue du Seigneur Jésus.
Quand je prêche tout Ésaïe, j’ai généralement une soixantaine de prédications. Mais je ne conseille pas de prêcher d’une traite les chapitres 1 à 66. Je recommande plutôt de diviser le livre en 5 grandes sections qui formeront des séries de 10 à 12 messages et d’intercaler des séries sur d’autres livres entre chaque section d’Ésaïe.
Je découpe le livre de la façon suivante:
Ce serait un tâche difficile à bien réaliser vue la complexité, la richesse et la taille du livre. Le danger serait de trop simplifier et de prendre une approche trop synthétique, qui devient très générale et qui produit des prédications pauvres en enseignements spécifiques. Je ne recommande pas de prêcher de longues sections du livre (2 ou 3 chapitres à la fois), car les auditeurs se perdront dans la quantité et seront incapables d’assimiler l’enseignement.
Une meilleure approche serait de prendre une quinzaine de passages représentatifs (idéalement aucun ne dépassant un chapitre) puis d’approfondir le passage pour que la richesse du texte soit mise en valeur au lieu d’être minimisée.
Dans la première section, qui est pleine de passages qui posent un diagnostic et qui plantent le décor, on pourrait se concentrer sur les chapitres 1, 5, 6, 7, 9 et 11. Ça ferait 6 prédications, mais elles couvriraient les thèmes majeurs qui seront développés dans la suite du livre. Un sermon sur les oracles, disons celui sur Babylone (Es 13) ou Tyr (Es 23), et un autre sur le récit historique de la destruction de l’armée assyrienne complétera la première moitié du livre.
Les 7 prédications restantes pourraient alors se concentrer sur les chapitres 40, 44, 53 et 55, suivis de la section finale du livre dans les chapitres 61, 63 et 65–66.
Évidemment, il n’y a pas une seule “bonne” manière de répondre à la question. Mais plus le prédicateur connait le livre en entier, plus ses messages pourront être fidèles au message d’Ésaïe malgré la brièveté de la série [de 15 prédications].
Ésaïe est en fait un livre où Dieu nous prêche Dieu. Ce qui est donc le plus frappant c’est l’exposé détaillé que nous avons de son caractère et de ses voies; ceci nous permet de comprendre ce que signifie d’avoir Yahwé pour Dieu en termes relationnels. Notre motivation personnelle à vivre dans la foi et l’obéissance, au sein de cette relation, est aussi nourrie.
Les Églises évangéliques peuvent être orthodoxes dans leur formulation de la doctrine de Dieu, mais faibles dans leur application de ces vérités à la vie de tous les jours. Prêcher Ésaïe dans notre Église à augmenté notre perception et renforcé notre confiance dans la fiabilité et la fidélité de Dieu; il est un Dieu qui tient ses promesses. Ésaïe nous permet d’apprécier encore plus la gloire de Christ au travers de ses portraits du Messie, qui est l’accomplissement de tout ce que Dieu a prévu et promis. Du coup, nous avons aussi mieux compris ce que cela signifie d’être le peuple de son alliance (à la fois les privilèges et les obligations); cela nous a rappelé la solennité du jugement de Dieu. De cette manière, nous avons été autant encouragés à vivre une vie sainte (foi et obéissance) qu’à être des témoins actifs. Les accomplissements prophétiques dans le Nouveau Testament ont aussi été une source de beaucoup d’émerveillement et de reconnaissance.
Sa longueur et sa complexité sont clairement le plus grand challenge. Il faut beaucoup de temps et de travail pour réussir à cerner la structure interne du livre et voir comment elle est développée avec brio autant chronologiquement (dans l’histoire de Juda) que théologiquement (dans le plan de salut qui est dévoilé).
Ésaïe est très important dans l’histoire du salut. Ainsi, sans perdre de vue la perspective historico-grammaticale (ce que le message voulait dire aux premiers auditeurs), nous devons toujours chercher à comprendre comment le texte pointe aussi vers Christ, en nous demandant ce que ça change concrètement aujourd’hui que Christ soit déjà venu.
Travailler soigneusement le contexte historique est important, car c’est celui-ci qui nous donnera des applications quand on voudra passer de “eux à l’époque” à “nous aujourd’hui”. Ce serait facile de prêcher la loi plutôt que la grâce, par exemple. Mais il faut aussi prendre en compte le contexte de toute la Bible; d’ailleurs, le Nouveau Testament contient de nombreuses références à “l’Évangile” d’Ésaïe.
L’autre défi est de rendre les réalités de la prédication d’Ésaïe aussi urgente et importante aux croyants du 21e siècle, qu’elle l’était dans la Jérusalem du 8e siècle avant Jésus-Christ. C’est pour cela que nous devons toujours croire en l’illumination et la force du Saint Esprit, et prier pour cela!
Alec Motyer a écrit deux commentaires. Le plus grand est très utile sur le texte hébreu et le plus petit, qu’on retrouve dans la série Tyndale Old Testament Commentaries, est plein de verve et très édifiant. Il a aussi réalisé une traduction personnelle et un guide d’étude intitulé Isaiah Day by Day publié chez Christian Focus Publications.
Barry Webb, un spécialiste Australien, à écrit une très bonne introduction générale intitulée The Message of Isaiah. Elle est publiée dans la collection The Bible Speaks Today chez Inter Varsity Press.
Il y a deux volumes sur Ésaïe par John Oswalt (vol. 1 et vol. 2) dans la collection New International Commentary of the Old Testament. Ils sont très utiles pour se repérer dans Ésaïe et stimulants pour le prédicateur. Cela est encore plus le cas du commentaire en un volume d’Oswalt intitulé simplement Isaiah dans la série Zondervan Application Commentary qui est vraiment bon pour donner des pistes au prédicateur.
J’ai moi-même essayé d’aider le prédicateur qui cherche à préparer une série et ses prédications dans mon livre Teaching Isaiah publié chez Christian Focus Publications.
Ésaïe est un océan et on peut facilement avoir l’impression de “nager”, ce qui est dommage, parce que ça pourrait te décourager de persévérer. C’est un livre qui livre ses trésors progressivement. Commence donc par “patauger” dans les eaux peu profondes. Choisis certains des passages plus accessibles, tels que les chapitres 1 à 12, et travaille-les pour développer un “feeling” pour le style et le cœur d’Ésaïe.
Ne sois pas trop gourmand au début, mais concentre-toi sur une exégèse de qualité et une compréhension textuelle. C’est toujours une bonne idée de faire du livre qu’on va prêcher son livre de chevet pour son culte personnel durant les 3 mois avant de commencer le travail de préparation des prédications de la série. Ésaïe aime récompenser ce genre d’immersion à répétition dans son message. Il y a tellement de thèmes et d’accents à tracer et assimiler. C’est un de ces livres de la Bible qui imprimera sa marque sur l’ensemble de ton ministère et ton discipulat, alors investis ce temps!
webinaire
Comment prêcher Christ à partir de l’Ancien Testament?
Ce replay du webinaire Dominique Angers a été enregistré le 20 novembre 2019.
Orateurs
D. Angers