Quel rapport entre rap et prédication? Dit comme ça, peu de choses nous viennent à l'esprit. Et pourtant: les deux sont en quelque sorte un art oratoire.
J’ai du calcaire dans les artères, un cœur de pierre
– Booba, Garde la pêche
Les textes de la Bible et les textes de rap se ressemblent au moins sur un point: ils sont pleins de métaphores. Cette figure de style joue sur la comparaison d’un élément à un autre et peut illustrer des concepts abstraits par une réalité concrète, ou l’inverse. Nos prédications pourraient gagner en force en utilisant plus de métaphores.
Certains concepts nous sont familiers et pourtant, une bonne illustration peut en dévoiler un nouvel aspect. Le concept de sacrifice est au cœur du message biblique. Mais récemment, en voyant le film « 7 vies » avec Will Smith, j’étais touché de voir comment le personnage se sacrifie pour d’autres personnes. Évidemment, toutes les illustrations ont leurs limites. Mais exploitons-les jusqu’au bout en montrant que l’Évangile dépasse toutes les illustrations: dans le cas de ce film, le personnage passe tout le film à s’assurer que les personnes pour qui il se sacrifie le méritent et sont de « bonnes » personnes. Jésus lui, est mort pour des pécheurs qui ne le méritaient pas.
Je balaie les petits Ewoks comme le vent balaie les feuilles mortes
– Iam, L’empire du côté obscur
Karl Barth aurait dit:
Prêchez avec la Bible dans une main, le journal dans l’autre.
Il arrive que nos prédications soient complètement déconnectées de notre culture. Nous regrettons parfois la dichotomie que nous entretenons nous-mêmes en coupant notre prédication de la vie quotidienne. Peut-être avons-nous une mauvaise théologie de la culture et nous la refusons tout en bloc?
Je vois au moins deux intérêts à utiliser des références culturelles: (1) En prenant des exemples tirés de la culture, nous montrons aux chrétiens (et aux autres) que notre foi n’est pas déconnectée du monde dans lequel nous vivons et (2) nous formons les chrétiens à lire la culture avec une vision biblique du monde.
Manquer de faire des références culturelles, c’est manquer de parler de ce que les gens côtoient et connaissent le plus.
La vie c’est comme ça, on a pas tout c’qu’on veut mon gars.
– Stomy Bugsy, La vie c’est comme ça
Les textes de rap sont souvent décriés à cause de leur rage et parfois de leur violence, à raison. Mais nous oublions que le monde est violent et qu’il y aurait des raisons d’être en colère face à l’injustice et à la rudesse de la vie, résultats d’un monde déchu. Nos prédications parlent souvent du monde tel qu’il devrait être (notre espérance, écho d’un paradis perdu) et du monde tel qu’il ne devrait pas être (déchu, résultat du péché). Mais nous parlons moins du monde tel qu’il est: un mélange de grâce commune et de péché. Nous forçons souvent le trait au détriment des nuances qui font la vie telle qu’elle est: parfois belle, parfois dure, souvent frustrante.
Au fond, c’est ce que je reproche à certains « films chrétiens » (qui traduisent aussi une certaine vision chrétienne du monde), cette tendance à montrer des chrétiens sans défaut et sans luttes et les autres sans beauté ni espoir de rédemption. C’est oublier la grâce qui sauve et qui transforme. Elle sauve même ceux qui nous paraissent être les pires et transforme même ceux qui nous paraissent les meilleurs.
C’est dur d’être un jeune qui rejette le mal
– Nekfeu, Égérie
Il y a deux extrêmes à éviter dans la prédication: ne pas parler de soi et trop parler de soi. Certains, par peur d’un extrême, tombe dans l’autre. Mais ne confondons pas pudeur et orgueil. Peut-être certains ne veulent pas trop se dévoiler, non par peur d’être indécent, mais par peur d’être mal vu. Mais les pasteurs (et tous les prédicateurs) pèchent. Tout le monde est tenté, tout le monde pèche. Il est évident qu’il faut faire la part des choses, mais attention à ne pas finir par mettre une distance qui, en plus d’être illusoire, est malsaine.
Essayons de partager nos luttes, lorsque cela n’est pas un pierre d’achoppement pour l’assemblée. Partageons les difficultés communes à tous les chrétiens. N’oublions pas que:
Nous ne croyons pas ceux qui nous semblent trop parfaits parce que nous savons que personne sur terre n’est parfait.
– Joe Carter, How to argue like Jesus, p. 81
Le temps passe et j’peux pas l’retenir; trop d’cœur trop d’nerfs et j’arrive pas à m’contenir
– Rohff, Regretté
Dans le rap, la musique est au moins aussi importante que le texte. Plutôt que de privilégier l’un à l’autre, on constate souvent que l’un renforce l’autre. Un texte mélancolique trouvera un écho particulier porté par une instru qui exprime aussi ce sentiment. Ainsi, fond et forme se complètent pour que le texte parle à la fois à notre tête et à nos cœurs.
Dans une certaine mesure, les textes de la Bible expriment aussi des émotions. Lors d’un séminaire sur la prédication en 2012 à l’IBG, Peter Adam parler d’ »intensifier les émotions » du texte pour tirer le maximum du texte et augmenter son impact. Il soulignait l’importance d’exprimer les émotions que Dieu avait mis dans chaque texte.
Par exemple, on pourrait se demander:
La prédication, comme le rap, s’adresse à l’homme en entier: à ses émotions et à ses convictions.
webinaire
Comment avoir une vision biblique du monde et de la culture?
Découvre le replay du webinaire de Raphaël Charrier et Matthieu Giralt (Memento Mori) enregistré le 24 octobre 2018.
Orateurs
M. Giralt et R. Charrier