La Réforme vue autrement ! Alors que l'on fête cette année les 500 ans de la Réforme, l'article ci-dessous nous fait découvrir 10 faits surprenants sur cet événement qui a marqué toute l'Histoire du protestantisme.
Le 14e siècle a été un moment difficile pour la papauté. Pendant un temps, deux papes rivaux s’affrontaient et la monarchie française mettait la papauté sous pression. Ce n’était pas non plus une période propice pour la ville de Rome, puisque 7 papes successifs l’ont abandonnée pour rejoindre Avignon. Rome était mise de côté et la basilique Saint-Pierre se détériorait, faute d’entretien. Les papes retournèrent à Rome en 1377 et mirent fin à leurs divisions en 1417.
100 ans plus tard, la situation s’était améliorée: en 1505, le pape Jules II décida de détruire la vieille basilique Saint-Pierre et de la reconstruire à neuf. Il avait de grands projets pour son propre tombeau et il voulait une basilique qui puisse l’accueillir dignement. L’heure était venue de rendre à Rome son lustre d’antan, mais les travaux coûtaient cher. Aussi l’Église décida-t-elle de lancer une campagne de collecte de fonds. C’est cette campagne qui amena Johann Tetzel en Allemagne pour vendre des indulgences, promettant la réduction du temps passé au purgatoire en échange d’argent. C’est précisément ce commerce qui conduisit Martin Luther à afficher ses thèses contre les indulgences, sur les portes de l’église de Wittenberg, le 31 octobre 1517.
Pendant la période de Carême en 1552, un groupe d’étudiants de Zürich décida d’organiser une « saucisses party ». Traditionnellement, seuls les légumes et le poisson étaient tolérés pendant le Carême. Mais ces étudiants voulaient du changement, et cela passait par la confection de hot-dogs. Le Conseil de la ville condamna les organisateurs de la fête à une légère amende, même si celle-ci était symbolique. Quelques jours plus tard, Ulrich Zwingli, le responsable ecclésiastique de la ville, écrivit un pamphlet pour soutenir les étudiants. Il affirmait notamment que la Bible ne disait pas grand-chose sur les saucisses, et encore moins sur le fait d’en manger pendant le Carême.
Le Conseil organisa alors un débat pour décider si les vues de Zwingli étaient conformes à ce qui était enseigné dans la Bible. Ce jour-là, Zwingli gagna. Mais en réalité, il avait déjà gagné avant que le débat commence, car les termes de la discussion reposaient sur le principe de l’autorité des Écritures. Bien plus que les saucisses, c’était bien là le véritable sujet. Ceci dit, il est quand même rassurant de savoir que les sandwiches au bacon sont autorisés par la Bible.
Le point focal du catholicisme était basé sur la justification par les sacrements ou par une vie monacale, mais les réformateurs prêchaient que la justification est offerte. Il n’y avait donc pas besoin de réaliser des œuvres pour obtenir la grâce de Dieu, car elle était déjà acquise par l’œuvre de Christ, et reçue par la foi. Cela offre une liberté pour pouvoir servir son prochain avec amour.
En 1523, un groupe de nonnes contacta Luther. La vie en couvent leur semblant dénuée de sens, elles lui demandèrent de les aider à s’échapper de leur existence cloîtrée. Luther engagea un marchand qui livrait régulièrement des harengs au couvent. Le 5 avril, les nonnes s’échappèrent en se cachant dans les tonneaux de poissons vides. Leurs familles refusèrent de les reprendre avec elles, peut-être en raison du caractère délictueux (aux yeux de la loi de l’Église) de ce qui s’était passé. Luther prit donc son bâton de pèlerin pour les marier. Un travail sans doute compliqué, depuis que les aspirantes sentaient le poisson!
Petit à petit, il trouva un époux à toutes, sauf à une. Il ne parvenait pas à trouver de mari pour la meneuse, Katharina von Bora. Après bien des hésitations et en dépit de ses aspirations initiales, Luther décida de l’épouser. Il avait 41 ans et elle en avait 26. Cette noce s’avéra finalement être un bon parti.
Les fameuses 95 thèses de Luther n’étaient pas sa première tentative pour provoquer le débat. Quelques semaines auparavant, il avait affiché 97 thèses, incluant une critique du philosophe grec Aristote, dont la pensée était à nouveau en vogue à l’époque médiévale. En l’occurrence, personne ne prêta attention aux 97 thèses de Luther. Cependant, elles étaient essentielles dans la pensée de la Réforme.
Ainsi, lorsque Luther fut convoqué pour répondre de ses actes devant son Ordre des Augustiniens, ce sont bien les 97 thèses qui ont été l’objet de la discussion. Aristote disait que l’on devient bon en faisant de bonnes choses. Notre identité est ainsi le produit de nos actions. C’est quelque chose que nous accomplissons par nos forces. Luther répondit que cette conception était mal tournée. Dans l’Évangile, notre identité est un don de Dieu. C’est quelque chose que l’on reçoit. Nos actions découlent ensuite seulement de cette nouvelle identité. Les non-croyants peuvent être contraints par la loi ou la pression sociale, mais une vie droite accomplie de tout cœur est possible uniquement si Dieu fait de nous une nouvelle créature.
En 1524, Desiderius Érasme publiait une attaque contre Luther. Érasme était alors une figure majeure dans le milieu académique européen. Érasme pensait que les gens avaient déjà suffisamment de force en eux-mêmes pour faire le bien. Il définissait le libre arbitre comme « un pouvoir de la volonté humaine par lequel un homme peut mettre lui-même en œuvre les choses qui conduisent au salut éternel ou au contraire s’en détourner« . Luther lui répondit: « Vous ne réalisez pas à quel point l’utilisation du pronom “lui-même” est profondément égocentrique. Quand vous dites que l’homme peut « mettre en œuvre lui-même », cela signifie que vous excluez totalement le Saint-Esprit avec tout son pouvoir, qui devient alors superficiel et inutile. »
Érasme était d’avis que nous avons simplement besoin d’essayer encore et encore, mais Luther comprenait que notre problème était bien plus fondamental. Le problème n’est pas que nous soyons paresseux ou ignorant, mais que le péché est solidement enraciné au fond de notre être. De sorte que pour pouvoir plaire à Dieu, nous avons besoin d’une transformation intérieure radicale. Et c’est précisément là l’œuvre du Saint-Esprit.
Il existe une version de la Réforme qui dit que les catholiques croient au salut par les œuvres tandis que les réformés croient au salut par la foi; mais les choses sont un peu plus subtiles. En fait, les catholiques parlent beaucoup de la foi et de la grâce. Ils vous diront volontiers que la justification vient par la foi.
Mais la grâce, pour l’Église catholique, est considérée comme un shoot d’adrénaline qui booste votre performance spirituelle. La justification, quant à elle, est la capacité donnée par Dieu à vivre une vie juste; à condition d’y mettre aussi du sien. Le baptême vous donne le coup de fouet initial et la messe vous procure les vitamines tout au long du chemin, mais c’est à vous de faire le boulot pour vivre une vie juste qui vous permettra d’atteindre l’approbation de Dieu. Le résultat final est donc « la grâce + les œuvres » et « la foi + les œuvres ».
Pour être tout à fait clair, le Concile de Trente dit: « Si quelqu’un dit que l’homme est justifié par la seule foi, en sorte qu’on entende par-là que pour obtenir la grâce de la justification, il n’est besoin d’aucune autre chose qui coopère; et qu’il n’est en aucune manière nécessaire que l’homme se pré__pare et se dispose par le mouvement de sa volonté: qu’il soit anathème. » (Canon IX)
Le Concile de Trente a constitué la réponse catholique à la Réforme; une réponse qui n’a depuis jamais été remise en question. La raison pour laquelle ce détail est important, c’est qu’il montre les enjeux contemporains. Les évangéliques savent tous que la vie chrétienne commence par la foi. Mais nous glissons trop facilement dans cette pensée qui consiste à croire que nous avons besoin de gagner l’approbation de Dieu par nos activités. Nous devenons alors plus catholiques romains que ce que nous imaginons.
Dans ses attaques contre Luther, Érasme commence en parlant des Écritures. Il dit: « Je dois admettre que la seule autorité des Saintes Écritures devrait surpasser toutes les délibérations des hommes mortels. » Jusqu’ici, tout va bien, mais il continue: « L’autorité de l’Écriture n’est pas ici l’objet de la discussion… Notre bataille concerne la signification de l’Écriture. » Érasme poursuit en assurant que nous avons besoin de l’autorité de l’Église pour déterminer le vrai sens des Écritures.
En d’autres termes, tout le monde s’accorde sur l’autorité de l’Écriture. Mais l’Église catholique a placé la tradition au même niveau que l’Écriture et s’est arrogé le droit exclusif d’interpréter la Bible. Les Réformateurs, de leur côté, ont rejeté la notion selon laquelle l’Église établit l’authenticité de l’Évangile. En fait, c’est même l’inverse: l’Évangile établit l’authenticité de l’Église. On peut être ravi d’apprendre des éléments de la tradition ecclésiastique, mais dans les moments décisifs où il faut trancher, l’Écriture est notre seule et ultime autorité.
Une fois encore, les enjeux contemporains sont clairs. Aujourd’hui, aucun évangélique ne rejette l’autorité de l’Écriture, mais bien trop souvent, nous plaçons notre expérience au même niveau qu’elle, ou nous utilisons nos expériences pour l’interpréter – au lieu de faire l’inverse.
Il y a quelque temps, j’étais sur la place Martin Luther à Rome. Oui, ils ont nommé une place « Luther ». À Rome. Avec les bénédictions du pape! À coup sûr, ne serait-ce pas la preuve que la Réforme est terminée? Malheureusement non. Il est vrai que l’accroissement du sécularisme dans la société conduit souvent les protestants et les catholiques à s’unir sur des sujets de moralité ou de liberté religieuse. Il est vrai aussi que de nombreux catholiques et protestants convergent vers des options théologiques similaires.
Mais cela est possible parce que beaucoup de catholiques ne suivent plus le dogme officiel, tandis que nombre de protestants ont perdu le contact avec les racines de la Réforme. Toutefois, la ligne de fracture de la Réforme n’a pas disparu pour autant. « Le pape est un catholique. » Voilà une lapalissade toujours d’actualité. En dépit des communiqués rassurants émis par le Vatican, celui qui allait devenir le Pape François affirmait, lors d’un synode daté de 1985, que la Réforme est à la base de tous les problèmes de la civilisation occidentale, depuis la laïcité jusqu’au totalitarisme. Il a qualifié Luther et Calvin d’hérétiques. Le luthéranisme étant « une bonne idée qui a mal tournée », tandis que le « schismatique » Calvin a déchiré l’humanité, la société et l’Église.
La Réforme a été conçue dès le début dans l’objectif d’être un projet perpétuel. Un de ses slogans était semper reformanda, que nous traduisons habituellement par « toujours réformer » mais dont une meilleure traduction donnerait plutôt « toujours en train d’être réformée ». L’Église est constamment en train d’être réformée par la Parole de Dieu. L’expression ne décrit nullement une fuite en avant vers un horizon inexploré, mais un mouvement qui consiste à revenir continuellement à la Parole de Dieu. Sur des sujets comme la justification, l’Écriture, la prédication, la grâce, le Saint-Esprit, les sacrements et la vie quotidienne, les évangéliques ont des leçons importantes à apprendre de la Réforme.
Pourquoi la Réforme était-elle controversée au 16e siècle? Pourquoi continue-t-elle à le rester aujourd’hui? Je pense que la réponse est que la Réforme (ou plutôt, la redécouverte de l’Évangile biblique) nous rend petits et rend Christ grand. Au cœur de la Réforme, nous réalisons que:
Voilà ce que signifie soli Deo gloria: « À Dieu seul la gloire ». Il n’y a aucune place dans la théologie réformée pour la vantardise humaine. Personne ne peut prétendre que son salut ou sa connaissance de Dieu vient de son intelligence, de sa moralité ou de sa religion. Tout commence et se termine par Dieu. C’est notre plus grand espoir et notre plus grande confiance. Notre salut est fondé sur les promesses certaines de Dieu et l’œuvre achevée de Christ. Et si tout commence et se termine par Dieu, alors toute la gloire lui revient à lui-seul.
Article traduit avec autorisation. Merci à Clément Tsyboula pour la traduction.