Quand Spurgeon nous apprend à utiliser Twitter

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4 conseils du célèbre prédicateur pour gérer la controverse

Encore une fois, un débat a éclaté sur les réseaux sociaux. Cette semaine, c’était à propos d’un autre sujet, mais les échanges étaient les mêmes. Les soldats du net ont usé de leur féroce rhétorique en appelant à condamner telle personne, telle institution ou tel groupement politique. « Ils ne font pas partie de notre bord. Supprimons-les! »

En m’intéressant à l’histoire de l’Église, je me demande ce que cela aurait été si on avait disposé à d’autres époques de réseaux aussi déchainés qu’aujourd’hui. Qu’est-ce que Charles Spurgeon aurait fait de son compte Twitter au sein de la Downgrade Controversy [une controverse au sein de l’Union baptiste britannique suite à un article de Spurgeon]? Comment aurait-il répondu à toutes les controverses qui pouvaient voir le jour régulièrement?

Bien sûr, il n’y a aucun moyen concret de savoir comme les figures historiques auraient utilisé les réseaux sociaux pour défendre leur foi. Malgré tout, elles nous laissent souvent de précieux indices venant de leur époque pour éclairer la nôtre.

L’engagement de Spurgeon envers son Église, ses étudiants, sa ville, nous dépeint son attitude face à la controverse, qui est probablement un bel exemple à suivre. Il nous montre une stratégie en quatre points, auxquels j’ajouterai un commentaire.

1. Tout désaccord n’est pas une controverse

Le lecteur naïf pourrait être subjugué par le succès évident de Charles Spurgeon en oubliant que son ministère était sans cesse assailli par la controverse et les luttes. Le conflit le plus intense a été la Downgrade Controversy (1887–1892), mais d’autres combats ont épuisé le pasteur -théologien Spurgeon.

Il a été au sein d’une polémique contre les médias, notamment pendant la tragédie du Royal Surrey Gardens [tuerie lors d’un culte dans cette salle en 1856]. Il a été attaqué autant par les hyper-calvinistes que par les arminiens, tout au long de son ministère. On a particulièrement attaqué sa position calviniste dans ses débuts à New Park Street. Spurgeon a écrit une analyse cinglante d’un recueil de cantiques qu’il jugeait théologiquement suspect en 1856 (Rivulet Controversy, le nom du recueil). Il a critiqué avec ferveur l’esclavage en 1859, même si son éditeur l’avait averti que les Américains pourraient cesser d’acheter ses sermons. Plus tard, il a attaqué les partisants de la théorie de l’évolution dans sa fameuse « Conférence du Gorille » (Gorilla Lecture). Il a aussi combattu l’Église anglicane en 1864 à propos de la régénération baptismale.

En examinant la plupart de ces conflits, Tom Nettles remarque que les polémiques liées à Spurgeon pouvaient être divisées en trois catégories: les erreurs scripturaires, l’hypocrisie confessionnelle et les divergences théologiques. Dans ses discussions avec les hyper-calvinistes d’un côté et les arminiens de l’autre, Spurgeon a rappelé que les Écritures enseignaient clairement les doctrines de la grâce.

Le terme « calvinisme » n’est qu’un raccourci. La doctrine que nous appelons « calvinisme » ne date pas de Calvin; nous croyons qu’elle émane de la source même de toute vérité. Peut-être Calvin lui-même l’a-t-il tirée des écrits d’Augustin. Augustin, sans aucun doute, a fondé ses opinions grâce à l’Esprit de Dieu, dans l’étude assidue des écrits de Paul; et Paul, qui a reçu ces écrits du Saint-Esprit, tenait tout cela de Jésus-Christ, le fondateur de tout le christianisme.

Lors de la Rivulet Controversy, Spurgeon s’est opposé à la divergence théologique d’un recueil de cantiques par rapport à la vérité établie. Il a dit « Ce livre ne se distingue que par son indistinction. Il est sournoisement malsain. »

Dans son combat contre l’esclavage, il refusait d’être en communion avec ceux qui, tout en se disant chrétiens, soutenaient le « trafic humain » [man-stealing]. Il a dénoncé sans détour l’hypocrisie des pasteurs américains.

J’ai en horreur, tout au fond de mon cœur, l’esclavage, en tous temps et en tous lieux. Et même si je communie à la table du Seigneur avec des personnes d’opinions de toutes sortes, je n’ai cependant aucune communion avec les esclavagistes, d’aucune manière. À chaque fois que l’un d’eux a fait appel à moi, je me suis fait un devoir d’exprimer mon dégout pour cette cruauté; accueillir un trafiquant d’humains, c’est comme si je recevais dans mon Église un meurtrier.

Cette catégorisation des controverses chez Spurgeon est très utile pour aider les pasteurs-théologiens à savoir si une controverse sur les réseaux sociaux est réellement une controverse. Les travaux d’Al Mohler sur le « tri théologique » offrent une grille du même genre, qui permet d’évaluer notre engagement public. Le sujet concerne-t-il une doctrine de premier ordre (qui serait fondamentale et essentielle à la foi chrétienne), de deuxième ordre (qui serait essentielle à la vie et la bonne tenue de l’Église, mais sans définir l’Évangile) ou de troisième ordre (option théologique qui ne menacerait pas l’Église locale ni la communion au sein d’une famille d’Églises)?

Que nous utilisions les catégories de Spurgeon ou le tri théologique de Mohler, nous devons évaluer le sujet avec soin avant de nous lancer dans un combat contre un autre croyant, une autre Église, organisation ou dénomination. Demandons-nous toujours: « Est-ce que c’est une réelle controverse? »

2. Bâtir davantage l’Église que notre propre renommée

Spurgeon était un pasteur-théologien. Selon Kevin Vanhoozer et Owen Strachan dans The Pastor as Public Theologien, le pasteur-théologien est un artisan dans la maison de Dieu. Il est tout simplement un bâtisseur de l’Église. Bâtir l’Église est l’œuvre du Christ (Matthieu 16.16-18), fondée sur les paroles du Christ (Matthieu 7.24, Jean 6.68); ses serviteurs sont donc appelés, finalement, à bâtir l’Église comme un témoin public du royaume de Dieu.

Spurgeon était cette sorte de pasteur-théologien. Le centre de son ministère était la congrégation du Metropolitan Tabernacle ainsi que ses antennes, qu’il avait créées depuis là. Spurgeon n’a passé que peu de temps à se construire son propre programme. Il était profondément orienté vers les progrès et l’édification des saints qui se rassemblaient dans sa propre Église.

Quand je suis devenu pasteur pour la première fois à Londres, le succès m’a fait très peur. La carrière qui semblait s’ouvrir devant moi, loin de me remplir de joie, me plongeait dans le désespoir… Qui étais-je, moi, pour continuer à conduire un si grand troupeau? Je voulais retourner à mon village discret, ou bien émigrer en Amérique pour trouver un petit coin paumé, où je pourrais être à la hauteur de ce qu’on attendrait de moi.

Pour le pasteur-théologien moderne, servir sa congrégation devrait être le but premier de son ministère, occuper son temps et son énergie. Vanhoozer remarque que « la grande mission du pasteur, qui lui est confiée par le Christ, c’est d’être un théologien public qui œuvre avec des personnes de la part de Dieu, un ouvrier qui nourrit les brebis du Christ et qui construit la maison de Dieu ». Une telle charge laisse peu de place pour se construire sa propre renommée en menant des combats sur les réseaux sociaux.

3. Miser plus sur la théologie que sur la controverse

Le pasteur-théologien moderne ferait bien de s’inspirer du temps que Spurgeon consacrait à l’enseignement doctrinal. Au cours de la Downgrade Controversy, il a prêché 475 sermons ! Il a fait référence à la polémique en cours dans 20 % de ces messages, alors que la doctrine de l’expiation du Christ a été évoquée dans 40 % des messages. Il a donc évoqué la doctrine deux fois plus que la controverse, en montrant par là qu’il était un vrai pasteur-théologien. Plutôt que de vouloir se jeter dans la mêlée de la polémique, il a redoublé d’efforts pour construire une forteresse théologique autour de sa congrégation au fort de la bataille.

Il n’a pas fait cela seulement pour son Église, mais aussi pour ses étudiants: il a souvent répété le besoin vital de prêcher Christ, comme antidote aux maux de son siècle.

C’est la chose la plus importante que j’aimerais dire: mes frères, prêchez le Christ, encore et toujours. Il est le plein Évangile. Sa personne, ses offices et son œuvre doivent être notre thème chéri, qui englobe tout le reste. Le monde a plus que jamais besoin qu’on lui parle de son Sauveur, et du moyen de l’atteindre. La justification par la foi devrait être le témoignage journalier des chaires protestantes, beaucoup plus qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et si nous arrivons en plus à associer à cette vérité centrale les autres doctrines de la grâce, nos communautés et notre monde ne s’en porteront que mieux!

Le temps que nous passons sur les réseaux sociaux ou ailleurs pour attiser les flammes de la controverse nous questionne sur le temps que nous passons dans l’étude consacrée à l’enseignement de la Parole auprès du peuple de Dieu. Spurgeon a certes abordé la controverse dans son Église et avec ses étudiants, mais son sujet de choix restait la centralité doctrinale de l’Évangile de Christ. Que ce soit également notre sujet de prédilection !

4. Être un gentleman

Pendant le Downgrade, on demandait souvent à Spurgeon de se prononcer sur ceux qu’il estimait dans l’erreur au sein de l’Union baptiste. Pourtant, il refusait de donner des noms. On lui parlait de certaines personnes dans des lettres, mais il trouvait irrespectueux de « briser le sceau de la confidence dans sa correspondance ou de révéler des conversations privées ». Même après son retrait de l’Union en 1888, le président de l’Union l’a enjoint à fournir des noms en guise de preuve de ses jugements. Alors qu’il refusait, l’Union a fait un vote de censure à son encontre, car, faute de preuve, « ces accusations n’ont pas lieu d’être ». Cette censure aurait pu être évitée si Spurgeon avait avancé les noms de ceux qui enseignaient des fausses doctrines. Il a refusé.

Nous ne pouvons pas savoir ce que Spurgeon aurait publié sur son compte Twitter pendant la controverse, mais il est probable qu’il ne l’eût pas utilisé comme nous. L’obsession moderne de publier des noms sur les réseaux sociaux pour les caricaturer ou les condamner est contraire à l’amour chrétien pour le prochain, sans parler du savoir-vivre le plus élémentaire. Ce n’est pas parce qu’il existe un support pour dénoncer ceux avec qui nous avons des désaccords, soit-ils théologiques, que cela glorifie le Christ. Un gentelman le ferait-il?

5. Vous n’êtes pas Spurgeon… ni Luther, ni Calvin…

Pour terminer, notre fascination pour les héros individuels comme John Wayne ou Luke Skywalker, peut fausser la donne quand nous abordons la « controverse ». L’histoire de l’Église a mis en avant des figures marquantes, et les pasteurs modernes rêveraient d’en devenir une aussi. C’était déjà le cas au temps de Spurgeon. Au début de son ministère à New Park Street à Londres, un observateur a dit: « Ce jeune homme va agiter l’Angleterre comme le deuxième Luther ». De même, les pasteurs-théologiens modernes veulent être le nouveau Spurgeon; mais puisque nous n’arrivons pas à égaler ses prouesses depuis le pupitre, nous qualifions chaque différence de « dégradation » [Downgrade].

Pourtant, la préoccupation de Spurgeon dans la controverse était scripturaire, confessionnelle et théologique. Il cherchait à bâtir son Église pour qu’elle reflète publiquement le Royaume de Dieu. Nos préoccupations à nous sont souvent plus égoïstes. Nous ne voulons pas tant nous battre pour la vérité que de devenir celui qui s’est battu pour la vérité.

Un modèle imparfait

Spurgeon n’a certes pas pu gérer toutes les controverses de façon parfaite. Mais en portant un regard sur sa vie, nous voyons un bon modèle à imiter: devenir un protecteur de la vérité biblique dans le contexte de l’Église locale. Les pasteurs-théologiens modernes devraient suivre cette voie pour l’honneur de la vérité, de l’Église et de la gloire de Dieu.

Que Dieu nous aide à vaincre la tentation de nous lancer dans la controverse pour l’honneur de notre propre réputation. Que Dieu nous aide à vaincre la tentation de nous lancer dans la controverse pour devenir quelqu’un de connu.

Jeremy Jessen

Jeremy Jessen est pasteur d'une Église baptiste à Louisville, Kentucky. Il est marié et père de trois enfants.

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