Internet, et son pouvoir de vous assujettir

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Internet est façonné par la pornographie. Il a le pouvoir de rendre réel le moindre de nos fantasmes.

Dans son livre, You Are Not Your Own: Belonging to God in an Inhuman World [ndt: « Vous ne vous appartenez pas: appartenir à Dieu dans un monde inhumain »] Alan Noble montre que la pornographie sur Internet permet à ceux qui en consomment de se sentir remarquablement puissant et important. En effet, presque n’importe quel scénario, envie ou sujet pornographique est trouvable en ligne, l’utilisateur accroc s’habitue à l’idée que tout ce qu’il peut imaginer devrait exister pour lui: 

Aujourd’hui, vous pouvez trouver une représentation pornographique de presque n’importe quel fantasme. Si vous en rêvez, vous pouvez le trouver. Et vous pouvez probablement le trouver gratuitement en l’espace de trois minutes. Lorsque, inévitablement, vous vous lassez de ce fantasme, vous n’avez qu’à le rejeter et le remplacer par quelque chose de nouveau, et ainsi de suite de façon infinie. Les humains ont toujours été capables d’imaginer toutes sortes de scénarios sexuels, mais il n’était pas possible de les rendre réels, à moins d’être un despote extrêmement puissant. Mais à présent, nous avons tous la puissance de Caligula à portée de main. 

Alan poursuit en observant que les innovations numériques récentes comme les deepfakes ont débloqué un potentiel inimaginable pour rendre réels encore plus de fantasmes débridés. Les environnements de réalité virtuelle simulent des expériences sexuelles immersives encore plus réalistes. À ce stade de l’histoire de la pornographie, tout ce que vous exigez de voir, de ressentir ou de pratiquer, peut être créé. Alan conclut:

Nous avons une liberté semblable à celle d’un dieu pour réaliser tous les fantasmes auxquels nous pensons.

Je pense que ceci est une clé pour comprendre quelque chose de très important. Beaucoup d’articles et de conseils évangéliques sur la pornographie se concentrent sur l’idée d’isoler le contenu pornographique de son habitat numérique et de s’y attaquer individuellement. Les filtres Internet peuvent déclencher des alarmes et bloquer l’accès aux pages problématiques. Les logiciels et les partenaires responsables peuvent connaître les activités suspicieuses et poser des questions dessus.

L’idée serait de prendre le chrétien moyen, qui passe près de 5 heures par jour sur son téléphone*, pour former sa conscience et rééquiper ses appareils multimédia. Ces 5 heures passées deviendraient du contenu « pur », et nous aurions vaincu l’ennemi.

Cependant, l’observation d’Alan ci-dessus a des implications plus profondes, car cette liberté incommensurable de satisfaire n’importe quelle envie extrême n’est pas un problème dû à notre consommation de pornographie sur Internet. Cette liberté est justement ce qui définit le fait d’« être connecté ». Le sentiment d’un pouvoir absolu de satisfaire immédiatement toute curiosité, toute démangeaison, toute impulsion est intrinsèque non pas à la pornographie mais au Web. Si derrière toute utilisation de la pornographie, il y a le désir d’être mis au centre de notre monde, de se sentir favorisé et aimé sans faire aucun des sacrifices de soi que l’amour exige, alors Internet existe réellement pour le seul but de donner vie à ce fantasme. Internet ne contient pas seulement de la pornographie. C’est une entité façonnée pornographiquement. 

C’est l’une des raisons pour lesquelles l’enquête menée par le Wall Street Journal sur le réseau social TikTok a son importance. Les journalistes ont découvert que l’algorithme de TikTok était programmé pour capturer même de brèves pauses du défilement. Si un utilisateur fait défiler une sélection de vidéos, même en ralentissant le défilement sur une vidéo en particulier, l’algorithme proposera ensuite plus de contenu similaire à cette vidéo.

Par conséquent, via cette technologie, les utilisateurs de TikTok sont poussés de plus en plus vers leurs intérêts marginaux et dans leur curiosité. Vous tomberez peut-être sur une vidéo dont le titre est vulgaire ou ridicule, mais vous allez ralentir votre défilement par une sorte d’instinct morbide incontrôlable et profondément humain. Peut-être que la simple description de la vidéo vous répugnera et que vous allez quitter le site. Mais l’algorithme de TikTok sait maintenant que vous étiez susceptible d’être intéressé par un tel contenu. Ainsi, tout ce qui était vulgaire, ridicule ou peut-être immoral dans cette vidéo, vous sera de plus en plus proposé dans les recommandations. Puis cet instinct qui vous avait poussé à ralentir, finira très certainement par céder.

La capacité illimitée d’invoquer tout ce que vous avez envie de voir à un moment donné est une crise anthropologique. Nous n’avons tout simplement pas été créés pour avoir ce genre de pouvoir. Nos esprits se posent des questions lorsqu’ils vagabondent. Le vieux proverbe selon lequel « on ne peut pas empêcher les oiseaux de voler au-dessus de la tête, mais on peut les empêcher d’y construire leur nid » est vrai et nous aide, justement parce qu’il y a une distinction entre un désir passager et son accomplissement immédiat. Toutefois, dans la liturgie d’Internet, cette distinction est un problème que la technologie doit résoudre. La technologie numérique veut combler le fossé entre nos instincts et notre pouvoir de réalisation. Cela est évident dans la pornographie, mais aussi en politique, dans nos divertissements et dans ce que nous mettons de nous-mêmes sur Internet. 

Si cela était appliqué en masse au sein de l’Église, la lutte contre la pornographie serait bien différente. Elle ne consisterait plus à faire des efforts pour la confiner, mais serait plus une réforme de la relation que les chrétiens entretiennent avec Internet. Elle aurait pour objectif de rediriger la redevabilité vers une question plus large: « Combien consommons-nous? » et pas uniquement « Que consommons-nous? »

Cela entraînerait certainement une révolution plus difficile et inconfortable mais bien plus durable dans nos communautés. Nous redéfinirions alors le but de nos appareils multimédia, la forme de notre discipulat moderne et la façon dont nous concevons l’avenir.

*Source.

Merci à Nathanaël Delarge pour la traduction de cet article. Traduit de l’anglais, avec autorisation. © 2023 Samuel D. James

Samuel D. James

Samuel D. James est rédacteur en chef adjoint pour la maison d'édition Crossway Books. Il écrit régulièrement pour les sites First Things, The Gospel Coalition, et tient son propre blog. Samuel et sa femme Emily vivent à Louisville, dans le Kentucky (USA), avec leurs deux enfants.

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R. Charrier