Faut-il apprendre à s'aimer soi-même avant d'aimer les autres?

Herméneutique

Doit-on s'aimer soi-même avant de pouvoir aimer son prochain? Ne tournons pas autour du pot, ce n'est en tous cas pas l'enseignement de l'Évangile de Jésus-Christ. Voici 3 raisons pour lesquelles (bonne nouvelle!) je n'ai plus besoin d'attendre de m'aimer assez moi-même pour pouvoir espérer aimer les autres.

À partir de la page 268 de son livre La croix de Jésus-Christ, John Stott donne, pour commencer, 2 raisons valables (sur 3).

Une 1ère raison d’ordre grammatical

Le 2nd grand commandement donné par Moïse et confirmé par Jésus d’aimer son prochain comme soi-même (Mt 22.36-40) ne contient objectivement pas de 3ème obligation, ni aucune autre condition. Le Seigneur a bien parlé de 2 et non pas de 3 commandements. Aimer Dieu (1) et son prochain (2). « L’indication simple et pratique (« comme soi-même ») est destinée à faire comprendre comment aimer son prochain, car « jamais personne n’a haï sa propre chair » (Ép 5.29). Ce commandement parle seulement d’aimer notre prochain de la même manière que nous aimerions être aimés.

Tout en ayant reconnu que certains pourraient avoir une piètre opinion d’eux-mêmes (p.269), John Stott ajoute à cette première raison:

Il faut reconnaître qu’en général, nous nous aimons nous-mêmes (…) l’amour de soi est un fait reconnu et une évidence à exploiter, et non une vertu recommandée.

Comme 2nde raison, John Stott invoque la linguistique et fait remarquer l’emploi de agapao qui serait, toujours d’après lui, le mot typique intentionnellement choisi par l’auteur pour désigner une sorte d’amour spécifique; un amour sacrificiel. C’est un argument que je n’ai pas retenu, notamment parce qu’il a été démontré depuis[1] qu’il existe un chevauchement substantiel du champ des mots traduits par aimer (agape/phileo entre autres). En bref, on voit mal l’idée d’amour sacrificiel dans le viol de Tamar en 2 Sam 13 (LXX).

Une 2ème raison d’ordre théologique

Pour 2ème raison (valable), John Stott avance l’avertissement que s’aimer soi-même, c’est l’essence même du péché. « Le péché consiste à vivre tourné sur soi ». Stott cite 2Tim 3.1-5 et fait remarquer que, dans les derniers jours, les hommes aimeront leur plaisir plus que Dieu. Le sujet même de cet article ne fait qu’appuyer nos soupçons.

Ça ne veut pas dire que tous ceux qui encouragent une certaine estime de soi ont forcément l’intention d’aimer leur plaisir plus que Dieu. Mais ce qui est clair, c’est que toute tentative d’augmenter notre amour pour nous-même en dehors de la croix est marquée par le péché. Pour mieux comprendre cette idée, il serait bon de continuer avec cet article de Matt et la lecture du Psaume 8. Et puisqu’on a perdu en route une raison de John Stott, j’en propose une supplémentaire. Elle réside dans l’essence même de l’Évangile, ce que Dieu a fait pour nous.

Une 3ème raison d’ordre évangélique

Croire qu’on trouverait la force et les ressources nécessaires pour aimer notre prochain en nous-mêmes après avoir trouvé suffisamment de raisons de nous aimer, c’est faire preuve d’une mauvaise compréhension de l’Évangile. Les ressources pour aimer mon prochain et pour observer ce commandement se trouvent en Christ, pas en moi (Jé 9.22-23). N’est-ce pas le but même de la Loi de nous pousser vers Christ?

En réalité, qu’on soit favorable ou non à cette idée qu’une sorte de « réservoir d’amour » devrait être rempli en nous avant de pouvoir aimer l’autre importe peu. Puisque la plus grande preuve d’amour nous a déjà été adressé:

Voici comment l’amour de Dieu a été manifesté envers nous: Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste non pas en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et qu’il a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés.

1 Jean 4.9-10

Si je prétends connaître Dieu et que je prétexte avoir besoin d’apprendre à m’aimer avant de pouvoir aimer, alors j’ai visiblement raté une information cruciale de l’Évangile. Alors que je ne l’aimais pas encore, Christ, lui, s’est identifié à moi et a donné sa vie par amour pour moi. C’est la pensée même que je sois l’objet de l’amour spécial du Fils de Dieu qui devrait me faire abandonner toute lutte et me presser d’aller vers mon prochain. Mes désirs égoïstes sont morts, ils ont été crucifiés avec Christ, et maintenant je vis et j’aime « par lui ».

Voilà maintenant 2 ans que nous vivons dans une ville où le bien être personnel est le mot d’ordre. Impossible d’y échapper. La plupart des habitants courent inlassablement vers cette quête insaisissable. Le constat est très facile à faire: l’amour de soi ne tient pas ses promesses. L’Évangile, lui, est la clé de ce 2nd commandement. Puisse-t-il transparaître dans nos propres vies; je n’ose même pas imaginer l’impact que la nouvelle aurait. Et vous?

[1] Erreurs d’exégèse D.A. CARSON


[NDLR: Franck avait publié cet article pour la première fois le 26 mai 2016, mais nous le remettons en avant pour profiter à de nouveaux lecteurs.]

Franck Godin

Disciple de Jésus, Franck le sert à l’Église Protestante Les Deux Rives, à Toulouse. Il est marié à Flavie, ils ont 5 enfants.

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