Les évangiles se contredisent-ils? Réponse imagée d’Henri Blocher

Doctrine de l'ÉcritureÉvangilesReligions du monde

Et si la métaphore du juge, habilement déployée par Henri Blocher, nous aidait à y voir plus clair?

Car le juge, comme le lecteur des évangiles, se trouve en face de témoignages. Doit-il ou non les considérer fiables, voilà le vrai sujet.

Les spécialistes du Nouveau Testament répondent diversement à la question posée dans le titre de ce billet. Leurs convictions intimes aussi bien que leurs travaux exégétiques les conduisent dans des directions parfois opposées.

L’attitude du juge

Dans ce contexte, je trouve particulièrement rafraîchissante la simplicité des réflexions d’un théologien français, Henri Blocher, formulées il y a quarante-cinq ans. La métaphore qu’il emploie, celle du juge, me paraît pertinente: c’est bien de « témoignages » dont il est question avec les quatre évangiles.

Lorsque les esprits de qualité diffèrent sur une question aussi simple que celle du désaccord ou de l’accord des évangélistes, l’attitude initiale est en cause.

Ceux qui accusent les textes de contradiction nous semblent les aborder avec une étrange rigidité. Ils ne seraient contents que si les évangiles exhibaient dès la première lecture une correspondance parfaite, que si l’harmonie était d’emblée évidente et sans aucune obscurité. Mais c’est vouloir une Bible tombée du ciel!

Les juges savent bien qu’en général des témoignages tous véridiques mais indépendants présentent des variations considérables, et qu’il est d’abord difficile de les harmoniser. Cela tient à la différence des points de vue, aux choix des éléments retenus, à l’élasticité des mots.

Lorsque des témoins de foi paraissent s’opposer, le juge ne décrète pas aussitôt qu’ils se contredisent: il tente une conciliation plausible de leurs dires.

C’est cette attitude sympathique et souple que les évangélistes méritent aussi. Montrer qu’on peut les lire d’une façon qui ne les oppose pas, ce n’est pas faire un effort désespéré et malhonnête pour sauver un texte sacré de l’incohérence; c’est simplement leur accorder le minimum qu’exige un homme digne de foi.

– Henri Blocher, « L’accord des évangiles et la résurrection », dans La Bible au microscope, volume 2 (Édifac, 2010), p. 81 (article initialement publié en 1971)

Problème ou privilège?

Pour les lecteurs de la Bible (comme pour les biblistes), les « contradictions apparentes » entre les évangiles ne se réduisent pas à des « problèmes à résoudre ». Certes, quelques spécialistes sérieux s’attellent à la tâche de dresser la liste des explications possibles – les meilleurs d’entre eux (Craig Blomberg en fait partie) ont d’ailleurs raison d’écarter les propositions « tirées par les cheveux » qui ne font en réalité qu’aggraver le « problème »!

Pourtant, ces tensions mettent en lumière autre chose que des « difficultés ». Elles soulignent surtout le privilège qui est le nôtre: nous disposons d’une pluralité de témoignages qui, lus les uns à la suite des autres, nous invitent à l’émerveillement devant celui qui échapperait à un portrait unique. Pour nous faire une bonne idée de son identité, nous avons besoin d’entendre quatre voix nous dire Jésus (sans compter celles des autres écrivains bibliques).

Les spécialistes du Nouveau Testament à la rescousse

Henri Blocher ne savait pas, en 1971, que les recherches néotestamentaires des décennies à venir n’allaient que renforcer la pertinence de ses propos. À la suite des travaux de Richard Bauckham, on accorde aujourd’hui une attention particulière à la notion de « témoignage » dans les évangiles et dans les récits historiques gréco-romains, en particulier les biographies (les évangiles sont rapprochés par la plupart des spécialistes des biographies gréco-romaines).

En effet, il a été démontré que l’accès de l’auteur à des témoins oculaires, à l’époque, ne faisait qu’appuyer la crédibilité du récit, ainsi considéré distinct d’une œuvre de fiction littéraire. Situés avec raison parmi les biographies gréco-romaines (dont ils se distinguent pourtant à plusieurs titres), les évangiles apparaissent plus que jamais comme ce qu’ils étaient véritablement pour leurs premiers lecteurs: des biographies crédibles de Jésus de Nazareth, composées sur la base du témoignage de ceux qui l’ont « vu et entendu ». Les travaux de Craig Keener, recommandés par de grands spécialistes (Joseph Fitzmyer, James Charlesworth, Gerd Theissen), présentent ce point de vue avec érudition.

La préface du troisième évangile va d’ailleurs dans ce sens:

Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole, il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile, afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus. (Luc 1.1-4)

Nous n’avons aucune raison valable de remettre aujourd’hui ces témoignages en cause, et de réserver aux auteurs des évangiles autre chose que ce qu’ils méritent: « une attitude sympathique et souple ».

Dominique Angers

Doyen de la Faculté de Théologie Évangélique à Montréal (Université Acadia), Dominique Angers y est aussi professeur de Nouveau Testament et de prédication. Docteur en théologie de l’Université de Strasbourg, il s’exprime régulièrement sur son podcast vidéo d’enseignement biblique, “Parle-moi maintenant”. Il est l’auteur du livre La méditation biblique à l’ère du numérique et du Commentaire biblique Parle-moi maintenant par Éphésiens. Son prochain commentaire, Parle-moi maintenant par Marc, paraîtra chez BLF.

Ressources similaires

webinaire

La Bible est-elle sans erreur?

Ce replay du webinaire de Florent Varak a été enregistré le 11 juin 2019.

Orateurs

F. Varak